« Nous sommes très clairement impactés par cette guerre »

Très présent en Ukraine et en Russie, Limagrain subit aujourd'hui les premiers contre coups de la guerre. Explications avec le président Sébastien Vidal dont la préoccupation première est de protéger les collaborateurs et leurs familles.

Quelle est la position de Limagrain en Ukraine ?
Limagrain est présent en Ukraine depuis les années 2000 à travers des activités commerciales et la présence d’une station de recherche située entre Kiev et Odessa pour tester nos variétés locales de maïs et de tournesol. Nous réalisons 70 millions de chiffre d’affaires en grandes cultures, majoritairement en tournesol, et 5 millions sur les potagères. En maïs, une partie du marché est approvisionnée par de la production locale alors qu’en tournesol, les semences viennent essentiellement de l’extérieur (Turquie, USA et France). L’Ukraine est donc un marché important pour nous.
En avril prochain nous entrons dans la période des semis en Ukraine. L’enjeu réside dans la capacité des distributeurs à livrer les semences aux agriculteurs et à ces derniers de procéder aux semis. Cela rejoint la demande du ministère de l’agriculture Ukrainien qui est d’approvisionner les fermes en semences pour ne pas stopper totalement la production. Dans la réalité des faits si 50% des surfaces sont semées au printemps, ce sera déjà un premier pas. Nous sommes en mesure d’apporter des semences à la frontière mais l’acheminement à l’intérieur du pays reste toutefois très compliqué…
Vous êtes également présent en Russie ?
La Russie est aussi un territoire important de développement, au même niveau que l’Ukraine. Et c’est un territoire qui est en train de s’ouvrir. Nos activités dans le pays concernent les grandes cultures, notamment le maïs et le tournesol via la vente de semences approvisionnées par l’extérieur.
Nous avions un projet industriel qui est désormais suspendu. Cette usine avait pour objectif de produire sur place, pour la production locale et répondre au marché local.
Ceci étant, nous poursuivons nos activités en Russie ; les discussions internationales ayant exclu l’agriculture et l’alimentaire des sanctions. Cette continuité est importante car des pays comme ceux de l’Afrique du Nord sont ultra-dépendants des exportations russes. Nous devons donc rester très vigilants sur ce point car sinon, ce sont des flux migratoires importants que nous allons devoir gérer.
Comment avez-vous réagi face à cette déclaration de guerre de la Russie contre l’Ukraine ?
La guerre déclenchée en Ukraine par le gouvernement russe en violation du droit international attire une condamnation unanime à laquelle Limagrain s’associe sans réserve. Dès l’éclatement du conflit, notre première préoccupation a été de protéger nos 110 collaborateurs ukrainiens et leurs familles. Très rapidement la solidarité s’est organisée : des équipes polonaises et roumaines ainsi que d’autres collaborateurs issues d’autres filiales ont accueilli leurs collègues ukrainiens. Aujourd’hui, une vingtaine d’entre eux ont franchi les frontières ; c’est peu mais beaucoup ont préféré rester dans leur pays pour le défendre. Nous avons par ailleurs procédé au versement de 2 mois de salaire à nos collaborateurs ukrainiens et offert une couverture santé et prévoyance à ceux qui sortaient du pays. Enfin le conseil d’administration de Limagrain a décidé de verser des dons auprès du Haut-Commissariat aux Réfugiés et de la Croix Rouge internationale. Cette action a été ouverte aux adhérents et aux salariés de Limagrain.
Quelles sont les répercussions sur le Groupe Limagrain ?
Nous sommes très clairement impactés par cette guerre, notamment notre business unit Limagrain Europe. L’Ukraine et la Russie sont des zones de développement pour nous. Des agriculteurs ukrainiens commençaient à produire du colza. En tant que n°1 en UE sur cette production, nous avions toutes nos chances de réaliser de bons résultats sur ce territoire.
La guerre stoppe donc tout développement sur ces zones. Déjà en 2014, suite aux événements en Crimée, nous avions subi une chute importante du chiffre d’affaires en Ukraine et en Russie.  Il est impossible de dire aujourd’hui combien de temps va durer le conflit mais l’impact risque d’être conséquent.
Plus globalement est-ce une remise en cause de notre production en France ?
Il est certain que le contexte pose à nouveau la question de la localisation de la production, un enjeu fort pour notre souveraineté alimentaire ! Après l’effet Covid, ce conflit montre, encore une fois, que la France est dépendante dans le domaine de l’alimentation. Notre balance commerciale sur la partie agro-alimentaire est certes excédentaire, mais si on élimine les effets vins et spiritueux elle est négative… Nous sommes donc très loin de la souveraineté alimentaire scandée par notre président de la République et par une majorité de politique aujourd’hui consciente du sujet.
Faut-il encore pour l’atteindre que les agriculteurs français aient les moyens et les capacités de produire par rapport à d’autres zones. Qu’ils aient notamment accès à la ressource en eau, qu’ils ne soient pas contraints par la réglementation sur l’usage des produits phytos et que les politiques européennes (Green deal, Farm to fork) ne freinent pas leurs ambitions… Et puis demain nous avons face à nous un enjeu majeur de stabilité des populations qui sont dépendantes des marchés russes et ukrainiens. Prenons l’exemple du Liban qui suite à l’explosion du port de Beyrouth ne dispose que très peu de capacité de stockage. Le pays était donc jusqu’à maintenant approvisionné par l’Ukraine quasiment à 100%. Si demain les Libanais n’ont plus de pain, ils fuiront vers d’autres contrées, amplifiant ainsi les flux migratoires.