Peste porcine africaine et influenza aviaire : peut-on limiter les catastrophes annoncées ?

La grippe aviaire qui a laminé le secteur avicole au printemps dernier continue de menacer les élevages français. La peste porcine africaine n'a pas encore touché le territoire français, mais elle est toute proche. Face à ces menaces, les filières, les services de l’État et les chercheurs se mobilisent pour trouver les moyens de lutter contre ces épizooties.

« L'influenza aviaire, c'est une catastrophe ». Directeur général délégué de l'Anses, Gilles Salvat ne mâche pas ses mots lorsqu'il évoque cette maladie lors de la table-ronde sur les épizooties organisée par l'Afja (Association française des journalistes agricoles), en marge du Space, le 12 septembre dernier. Et c'est bien au présent que Gilles Salvat qualifie la maladie de « catastrophe », car même si le pic des contaminations est derrière nous, avec ses 1400 élevages touchés et ses 20 millions de volailles abattues entre novembre 2021 et mai 2022, l'influenza aviaire est présente sur le territoire en cet automne 2022.

L'influenza aviaire toujours présente, la peste porcine africaine pas encore

Quelques foyers ont été détectés en élevage ces dernières semaines, mais ce sont surtout les cas repérés dans la faune sauvage qui inquiètent les scientifiques : « La contamination n'est pas éteinte. La maladie est en voie d'endémisation », explique Gilles Salvat. Le virus a en effet été identifié chez de nombreux laridés (mouettes, goélands, sternes...) retrouvés morts sur les côtes françaises, du Nord au Pays Basque. La maladie sévit aussi chez les fous de Bassan, au point de faire naître des inquiétudes sur la survie de l'unique colonie française sur l'île Rouzic, au large de Perros-Guirec.

"Le virus survit plusieurs semaines dans des charcuteries"

Pour la peste porcine africaine, ce n'est pas encore la catastrophe, puisque aucun cas n'a été détecté en France. Les kilomètres de barrières dressées à la frontière semblent avoir été efficaces pour empêcher l'entrée des sangliers contaminés depuis la Belgique. Toutefois, « la situation est très préoccupante », reconnaît Gilles Salvat. Les foyers sont nombreux en Roumanie, Pologne, République Tchèque, et des cas sont recensés en Allemagne et en Italie.

En mai dernier, un cas a été détecté sur un sanglier dans un parc urbain près de Rome. Comme il n'y a pas eu de circulation de sangliers entre les foyers de l'Est et Rome, il est certain que la contamination s'est faite à la faveur de déchets alimentaires laissés par des humains dans le parc. « Le virus survit plusieurs semaines dans des charcuteries », commente le spécialiste.

En mai dernier, un cas de peste porcine africaine a été détecté sur un sanglier dans un parc urbain près de Rome. Sa contamination s'est faite à la faveur de déchets alimentaires laissés par des humains.

L'argument sanitaire souvent utilisé pour restreindre les échanges

Ces deux maladies « génèrent des inquiétudes majeures sur la volaille et sur le porc », souligne Marcel Denieul, le président du Space. Elles pourraient non seulement mettre en difficulté ces filières pour une saison, mais pour des années, voire pour toujours. Sur ces deux filières, la concurrence mondiale est sévère, prête à pallier toute défaillance française.

En outre, sur ces deux filières, la valeur économique ne repose pas que sur les animaux engraissés et vendus. Elle est aussi dans l'amont, sur les élevages de sélection et de reproduction. « C'est une des grandes forces de la filière avicole française », illustre Ségolène Guerrucci, directrice du Syndicat national des accouveurs. « La France fait de la sélection et de l'accouvage de toutes les espèces avicoles : poulet, pondeuse, dinde, canard, oie, pigeon, pintade, gibier... C'est un trésor. Si ces élevages sont contaminés, c'est le travail de plusieurs années qui disparaît ».

Renforcer la biosécurité

Face à ces menaces, les filières, les autorités sanitaires et le monde de la recherche cherchent des solutions nouvelles, puisque les abattages massifs et totaux des élevages ne suffisent plus. La première solution est connue, mais doit être renforcée : c'est la biosécurité. « Les premières limites à la biosécurité, ce sont les humains ; il suffit d'une erreur, un jour, pour faire rentrer un virus dans un élevage. La biosécurité doit être une rigueur quotidienne », explique Gilles Salvat. La question de l'entraide et des échanges de matériels ou de machines entre éleveurs (pailleuse pour les volailles par exemple) doit être réexaminée sous l'angle de la biosécurité.

Délocaliser et baisser les densités

Si l'influenza aviaire s'est propagée massivement dans le Sud-Ouest et les Pays de la Loire, c'est parce que la densité d'animaux y est très élevée. Dans le Sud-Ouest, les volailles sont majoritairement des canards et des poulets label, tandis que dans les Pays de la Loire, toutes les espèces cohabitent, volailles de chair, pondeuses, canards, gibiers, pigeons... Avec une fragilité supplémentaire : la région concentre la majorité des élevages de sélection et d'accouvage français. « Contrairement à la sélection végétale, il n'y a pas de règles d'implantations des élevages de sélection avicole », note Ségolène Guerrucci.

Au printemps dernier, la majeure partie de la génétique avicole française s'est ainsi retrouvée sous la menace du virus. « On a réussi à protéger des sites stratégiques, on a eu heureusement peu de reproducteurs abattus ». Les filières ont ainsi compris qu'il fallait cesser de mettre tous leurs œufs dans le même panier : comme cela se fait pour les serveurs informatiques, elles ont donc installé des élevages de backup (sauvegardes) dans d'autres régions françaises.

La baisse des densités pour réduire les contaminations est le projet du plan Adour qui va être mis en œuvre dès cet hiver à grande échelle sur les palmipèdes gras et sur volailles de chair dans le Sud-Ouest. L'objectif est de réduire les mises en place dans les communes sur lesquelles le risque est estimé le plus important.

Détecter, vacciner, pour gagner la course contre le virus

Pour améliorer les stratégies de lutte, la détection précoce des maladies est essentielle. « Pour l'instant, on ne détecte le virus de l'influenza aviaire que 5 à 10 jours après son introduction dans un élevage », explique Gilles Salvat. « C'est le même enjeu que pour le Covid, il nous faut des tests rapides, fiables, peu coûteux, réalisables régulièrement par les éleveurs. Des travaux de recherche sont en cours ».

Contre ces deux maladies, la vaccination fait également partie des stratégies de lutte. Des vaccins sont en test (influenza aviaire) ou en développement (peste porcine africaine) mais professionnels et scientifiques penchent actuellement plutôt pour une utilisation de ces vaccins sur la faune sauvage, pour « ralentir l'épidémie ». « Ils peuvent nous permettre de gagner la course contre le virus ».

La vaccination est parfois regardée avec circonspection par ces deux filières car elle impose, pour pouvoir exporter, de différencier les animaux vaccinés des animaux porteurs du virus. Même si des techniques existent pour établir cette distinction, elles ont un coût qui pourrait être rédhibitoire pour vendre à l'export (et certains pays pourraient de toute façon utiliser l'argument sanitaire pour mettre les productions françaises sous embargo).

Le virus de l'influenza aviaire n'a pas disparu durant l'été. La surveillance sans relâche de l'Office français de la biodiversité montre qu'elle a touché de très nombreux oiseaux, sur tout le littoral français, du Nord au Pays basque.

Vacciner les éleveurs

La vaccination concerne également les humains. Comme l'ont rappelé Jean-Luc Angot, chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire, et Gilles Salvat, certaines épizooties peuvent devenir des zoonoses (1), le cas le plus récent étant celui du virus H5N1, un virus de grippe aviaire devenu transmissible à l'homme. « Souvent, cela se produit à l'occasion d'un réassortiment chez un hôte commun, le porc par exemple ».

Pour réduire les risques de transmission et de recombinaison de virus, les services de santé publique conseillent désormais aux éleveurs de porc, de volailles et aux opérateurs d'abattoir de se vacciner contre la grippe saisonnière. Comme pour toutes les populations à risque, cette vaccination est gratuite.

Séparer par la compartimentation

Enfin, la compartimentation est également une solution testée et prévue par les deux filières porc et volaille pour lutter contre la propagation de l'influenza aviaire et de la peste porcine africaine et elle pourrait être utile contre d'autres maladies contagieuses. Cette compartimentation consiste à isoler totalement certains élevages ayant une biosécurité de très haut niveau : ils seraient séparés totalement des autres par des circuits d'alimentation, de ramassage, d'abattage, et d’équarrissage dédiés et étanches à ceux des élevages classiques. L'enjeu est non seulement de pouvoir limiter les contaminations, mais surtout de pouvoir continuer à exporter à partir de ces compartiments même s'ils se trouvent dans des zones où circulent les virus.

  1. Pour rappel, les épizooties sont des maladies touchant uniquement les animaux. Les zoonoses sont des maladies transmissibles des animaux aux humains. La plupart des maladies émergentes sont des zoonoses.