Pesticides : la vaine bataille des chiffres

[Edito] Comment mesure-t-on l’utilisation des produits phytosanitaires en France ? Plusieurs indicateurs coexistent, et peuvent apporter des conclusions contradictoires. Mais si les chiffres peuvent facilement être manipulés, les faits montrent que la transition agroécologique nécessite davantage d’incitations économiques.

Dans un rapport publié le 9 février, la Fondation Nicolas Hulot (FNH) dresse le constat d’échec du plan Ecophyto. Lancé en 2008, le plan ambitionnait une réduction de l’usage des pesticides de 50% en 10 ans. A l’inverse, « le re­cours à ces produits a augmenté de 25% », indique la FNH. Un chiffre largement repris par les médias, et dont le ministre de l’Agriculture s’est offusqué dans un tweet : « Arrêtons de faire croire que la transition n’est pas en cours ou que l’agriculture s’y opposerait ! C’est dégradant et c’est faux ». Et d’opposer cet autre chiffre : les ventes de produits phytosanitaires ont baissé de 36% en 10 ans.

Qui dit vrai, qui dit faux ? Il s’avère que les deux chiffres sont exacts. Mais ils ne concernent pas les mêmes indicateurs et ne se réfèrent pas aux mêmes années.

Quantités vendues

Le ministre se base sur les quantités de substances actives vendues par les distributeurs, hors produits de biocontrôle et utilisables en Agriculture biologique, et observe l’évolution entre 2009 et 2019, année dont les données viennent tout juste d’être publiées et où les ventes ont fortement baissé. Le chiffre de -36% correspond donc à l’évolution entre 2009 et 2019 de la quantité totale de substances actives « conventionnelles » vendues. Il ne tient pas compte des quantités de soufre et de cuivre, qui elles, augmentent.

Toutefois, suivre l’évolution de l’utilisation des produits phytosanitaires par les seules quantités de substances actives vendues est incomplet. On somme des produits qui n’ont ni les mêmes actions, ni les mêmes toxicités, ni les mêmes doses d’utilisation, sans rendre compte de l’efficacité des nouvelles substances à de plus faibles doses.

Le Nodu, indicateur d'usage

Dans son rapport, la Fondation Nicolas Hulot évalue l’usage des phytos grâce au Nodu (« NOmbre de Doses Unités ») triennal, l’indicateur choisi par… le ministère lui-même pour évaluer le plan Ecophyto. Le Nodu est un indicateur d’usage et rend compte du nombre moyen de traitements par hectare (un peu comme l‘IFT). Il tient compte des doses homologuées et des surfaces concernées. Autre différence, la FNH se réfère à l’année 2018 (dernières données disponibles jusqu’à présent), année où les usages avaient augmenté.

Ainsi, en moyenne triennale, le Nodu agricole a bien augmenté de 25% entre 2009-2011 et 2016-2018. Ce chiffre est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans la dernière note de suivi Ecophyto établie par le ministère en janvier 2020.

Quelles que soient les données considérées, les objectifs du plan Ecophyto n’ont pas été atteints et le débat autour des chiffres ne doit pas en occulter les raisons. Face aux investissements nécessaires à la transition agroécologique et aux risques pris par les producteurs, les politiques publiques ne sont pas suffisamment incitatives. Les prix de vente peu rémunérateurs et le manque de débouchés pour la diversification des cultures sont autant de freins aux changements de pratiques.

Quant aux effets du changement climatique (hivers doux, pluies intenses, sécheresses prolongées…), ils entraînent une hausse de la pression parasitaire, des chutes de rendement et affectent les trésoreries. Pour que l’agriculture devienne réellement une solution contre le réchauffement de la planète et pour préserver la biodiversité, elle doit assurément être mieux outillée.