Planèze de Saint-Flour : des prairies sensibles... des élevages vulnérables

Classés en prairies sensibles, plus de 21 000 ha, majoritairement situés en Planèze, ne peuvent ni être retournés pour s’adapter au changement climatique, ni traiter contre la prolifération de rats.

Si le ridicule ne tue pas, l’absurde peut lui avoir des effets délétères et hypothéquer l’avenir de quelque 762 exploitations cantaliennes, soit près d’un sixième des fermes du département. Ou quand trop d’écologie tue l’agroécologie... En cause, une situation kafkaïenne qu’aurait plébiscitée Raymond Devos dans l’un de ses sketches. L’affaire remonte à 2014 et au classement en prairies dites sensibles- jugé arbitraire par la profession agricole -  de quelque 21 517 hectares de prairies et pâturages permanents ainsi que de landes, parcours et estives présents dans des zones Natura 2000. 

Des prairies qu’on va au final intensifier


Particulièrement visé, le secteur de la Planèze de Saint-Flour avec 21 communes, grenier à grains historique du Cantal et actuel bassin laitier dynamique qui craint de voir définitivement ses capacités d’adaptation au changement climatique, tout comme ses capacités de lutte contre les rats taupiers et son potentiel de développement, annihilés par cette disposition, comme l’ont expliqué vendredi dernier au préfet les membres du Gaec élevage Teissedre(1) aux Ternes, Christian Teissedre et ses fils Guillaume et Quentin. “Notre objectif, c’est l’autonomie fourragère, cela passe par la rotation des prairies, or avec 16 ha en PRL (prairies temporaires à rotation longue), ça nous bloque fortement, ont exposé les éleveurs. Ces dernières années ont été compliquées du fait des sécheresses, si on pouvait resemer des prairies, ce serait toujours ça de garanti... Au lieu de ça, les maintenir dans cet état, ce n’est pas de l’agroécologie !” Une autonomie d’autant plus essentielle pour cette exploitation laitière en système tout foin et engagée dans la démarche du cantal AOP Haut herbage de la coopérative des Monts du Cantal. “Si on perd cette autonomie, on sera fortement impacté sur la production laitière et si on ne peut plus retourner les prairies sensibles ni les PRL, le peu de prairies temporaires qu’il nous reste, il faudra les intensifier au maximum, ça aussi c’est contraire à l’agroécologique”, tacle Guillaume.

Comme d’autres, le Gaec sis à Courtines a dû, à regrets et faute de parcelles pour assurer un rotation culturale, faire une croix sur la production de lentilles blondes, alors même que cette filière, qui vise une reconnaissance en signe officiel de qualité, est en quête de recrues afin de doubler les surfaces emblavées dans un avenir proche.
 

Rats : lutte impossible mais... pourtant obligatoire
Et aujourd’hui, c’est impuissants que les Teissedre comme leurs voisins assistent à la prolifération des campagnols terrestres dont la neige peine à masquer les tumuli. Car qui dit prairies sensibles dit... absence de traitement phytosanitaire. C’est l’une des conséquences de la nouvelle Pac : pour accéder à l’écorégime, ces prairies ne peuvent en effet subir le moindre traitement phytosanitaire, y compris dans le cadre d’une lutte contre les rats taupiers qu’un arrêté préfectoral rend pourtant obligatoire ! Kafkaïen on vous dit... et “intenable” a affirmé Joël Piganiol, président de la FDSEA, à l’initiative avec les Jeunes agriculteurs, de cette invitation du préfet sur ces terrain et sujet... sensibles sur lesquels les deux syndicats ont déjà alerté Serge Castel comme le ministre Denormandie lors de sa venue à l’automne dernier.
“Les prairies sensibles en Planèze, c’est un non sens, a argumenté Guy Touzet, délégué cantonal de Saint-Flour nord. On est sur une zone ancestrale où l’on faisait des céréales pour l’autonomie fourragère. On va obliger une agriculture des plus vertueuses à intensifier toute une partie des exploitations. Ces prairies sensibles, elles nous sont tombées dessus sans aucune information préalable, on a subi le classement de deux chercheurs débarqués ici du Muséum d’histoire naturelle qui ont classé ces 21 000 ha sans qu’aucun responsable agricole soit tenu au courant...” Au passage, Guy Touzet, comme les éleveurs présents, ont redit que préservation de l’environnement et agriculture n’étaient pas incompatibles, pour preuve l’adhésion volontaire des exploitations du secteur aux mesures agroenvironnementales des zones Natura 2000.  Les responsables syndicaux ont aussi rappelé leur mobilisation, en 2015, aux côtés de services locaux de l’État et en concertation avec les associations environnementales, pour une proposition alternative permettant d’atténuer l’impact agricole de ce classement. Tentative qui s’est soldée à l’époque par une fin de non recevoir.
 

Le temps presse
“Le problème des prairies sensibles, c’est la sanctuarisation des parcelles, de figer les systèmes”, a fait valoir Joël Piganiol à un préfet bien conscient de la problématique. Pour Serge Castel, si la solution ne peut être locale, le ministère de l’Agriculture a déjà été saisi de ce dossier que le préfet et le DDT, Mario Charriere, présent lui aussi vendredi avec la sous-préfète de Saint-Flour, entendent étayer à la lumière de l’impasse liée à la question des rats taupiers dans le cadre d’une approche transversale qui doit associer le ministère de la Transition écologique.
Une chose est sûre, le temps presse, car au-delà de l’approche globale, c’est individuellement que les agriculteurs attendent des réponses, dès ce printemps, dans le cadre de leur déclaration de surfaces à la Pac...

(1)  Les trois associés élèvent 70 vaches montbéliardes sur 134 ha de SAU dont 100 de prairies permanentes, 16,5 ha de prairies temporaires de plus de 5 ans (PRL), 4,6 ha PT de - 5 ans, 14,5 ha de céréales.