Rats taupiers : un vaccin nommé désir

Efficace en laboratoire, le vaccin mis au point par l’équipe de Joël Devret ne sera pas testé au champ avant... toute une série d’autorisations administratives encore hypothétiques.

Impossible de ne pas faire le parallèle : il n’a fallu guère plus de neuf mois pour mettre au point un vaccin contre le Covid-19, quand les recherches engagées en 2017 sur l’immunocontraception des campagnols terrestres ne devraient aboutir à un vaccin opérationnel au champ au mieux en 2025, voire au-delà, si tant est que le produit mis au point par le professeur Devret et son équipe de l’université de Clermont-Auvergne recueille toutes les autorisations requises. “En labo, ça marche, le passage à la phase terrain, c’est une autre histoire !”, a concédé le chercheur, qui intervenait à l’assemblée générale de la FDGdon le 24 mars à Giou-de-Mamou. En cause : la volonté politique (ou pas) de donner aux éleveurs un moyen d’enrayer les pullulations du ravageur et les subsides pour le faire.


Des recherches à deux vitesses
Ce programme est sans doute le plus avancé des quatre lancés grâce aux soutiens obtenus par la Copamac-Sidam (FDSEA, JA et Chambres d’agriculture du Massif central) et le plus prometteur en termes d’efficacité : au terme de six années de recherches, Joël Drevet, qui enseigne l’immunologie et la physiologie de la reproduction, est parvenu à mettre au point un sérum capable d’engendrer une réponse immunitaire des campagnols dirigée contre les seuls spermatozoïdes de cette espèce. Une fois administré, ce vaccin, à base de protéines, induit la production d’anticorps qui vont aller se fixer sur la tête des spermatozoïdes empêchant ainsi la fécondation. Les expériences réalisées ont ainsi permis d’identifier, d’isoler et caractériser de petites séquences de protéines (peptides) capables de générer cette réponse spécifique. Lors des tests réalisés en laboratoire au sein de l’animalerie de l’université, les chercheurs ont aussi mis en évidence d’autres perturbations inattendues générées par ce vaccin : dans 75 % des cas, une diminution importante de la taille des testicules et du nombre de spermatozoïdes (voire leur absence totale), due à une inflation de l’ensemble du tractus génital provoquée par la réponse immunitaire.  
Parallèlement, l’équipe de l’université clermontoise s’est penchée sur les voies d’administration de ce vaccin, la seule envisageable techniquement étant l’ingestion par voie orale. La formulation mise au point (qui sera brevetée) a fait la preuve qu’elle déclenchait les mêmes effets que le sérum injecté.
La suite ? Dans l’année qui vient sont prévus des tests sur les individus qui intègreront le terrarium en cours d’installation à Vet-AgroSup, le campagnol terrestre restant réticent à se reproduire en captivité. Des tests de fertilité en laboratoire ainsi que des tests d’appétence de la formulation du vaccin sont aussi programmés. Les essais au champ ne sont eux pas prévus avant 2024 et 2025 et “restent assujettis à tout un tas d’autorisations gouvernementales pour prouver l’innocuité du vaccin sur les plus proches prédateurs, quand bien même on a déjà apporté des réponses sur sa spécificité”, a indiqué Joël Devret, douchant les espoirs d’un vaccin rapidement applicable. D’autres questions restent en suspens tant que cette étape grandeur nature n’est pas enclenchée : quel impact du vaccin à l’échelle d’une parcelle sur une population de différents âges ? Combien de fois faudra-t-il traiter ?


Exaspération
Daniel Fruiquière, administrateur de la FDGDon, qui coprésidait cette assemblée générale avec Jean-Michl Fages, en l’absence de Simon Veschambre (pour raisons de santé), a exprimé toute la frustration des éleveurs de voir la perspective de ce vaccin aussi lointaine alors que le rongeur sape les ressources fourragères de leurs exploitations. Agacement partagé par Patrick Bénézit, président de la Copamac-Sidam : “Au bout de cinq ans, ce n’est pas facile d’expliquer aux éleveurs qu’on n’est pas encore au bout, et que quel que soit le programme de recherche, il faille encore mettre la main au pot !” Rappelant que ces recherches n’ont pu être enclenchées que grâce aux fonds obtenus par le lobbying de la Copamac-Sidam et l’engagement aux côtés de l’État de la seule Région Auvergne-Rhône-Alpes, Joël Piganiol (FDSEA) a regretté la faible implication des élus et communes sur ces pullulations, dont le lien avec des problématiques sanitaires (notamment la qualité de l’eau) n’est pas à exclure.
Patricia OLivieri
(1) Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles.