Rencontre avec Adrien Robin, agent de remplacement "super polyvalent"

Série d’été « Le remplacement agricole a 50 ans » (3/4). En France, les services de remplacement emploient plus de 15 000 agents. Beaucoup d'entre eux sont des vacataires, présents uniquement lors des périodes de forte activité. Mais 2500 agents sont remplaçants à temps complet, en CDI. Ils sont souvent les piliers des associations de remplacement locales. Adrien Robin est l'un d'entre eux. Rencontre.

« Cela peut arriver que l'on m'appelle à 23 heures pour me dire : « demain matin, tu fais la traite à tel endroit ». Ou bien « tu feras deux traites d'affilée ». Ce n'est pas souvent, mais quand cela arrive, c'est une urgence, un accident ou un décès. On n'a pas le choix, alors on y va, parce qu'on est là pour ça ».

Adrien Robin, 45 ans, exerce le métier d'agent de remplacement au sein de l'Arroch, l'association de remplacement de la région de Châteaubriant (44). À raison de 39 heures par semaine, week-end et jours fériés compris - « surtout les week-ends et jours fériés » souligne Lætitia, son épouse -, il remplace les agriculteurs du secteur, parfois les salariés agricoles, lorsqu'ils en ont besoin : pour des maladies et accidents, pour des congés maternité ou paternité, pour des week-ends ou des vacances, pour des coups de main, ou encore, hélas, pour des décès : « Cela m'est arrivé deux fois dans ma carrière d'intervenir après un décès dans un élevage. C'est très difficile, mais nous sommes formés pour ces situations extrêmes. En général, nous intervenons en « pool », avec les vétérinaires, les contrôles de performance, les inséminateurs, la laiterie, tous ensemble pour assurer la continuité de la ferme ».

Ce métier, « toujours utile et jamais monotone », Adrien Robin l'exerce depuis plus de 13 ans, en parallèle d'une activité d'exploitant agricole (céréales et moutons, associé avec son épouse sur une ferme de 35 ha). L'homme assume bien cette double casquette, chef d'exploitation chez lui, et salarié chez les autres : « Je sais faire la part des choses ». Il a d'ailleurs fait le choix d'être salarié dans une association qui intervient sur un autre secteur que celui où il est exploitant, pour plus de clarté dans ses relations avec ses collègues.

Sur la ferme où il est exploitant, à Moisdon-la-Rivière, Adrien élève des moutons, ainsi qu'une truie et sa descendance.

« Réactif et adaptable »

« Quand on intervient en remplacement, il faut être réactif et adaptable », décrit Adrien. « La famille aussi ! », souligne Lætitia, un brin moqueuse. « On doit être maniable et malléable, ne pas se prendre pour le calife. Si dans une ferme, on me met un peu trop la pression, ça me passe au-dessus, je sais que je n'y suis que pour deux heures. Mais en général, ça se passe bien ».

"On est amené à faire de tout, voir de tout, conduire de tout"

Ce qu'Adrien apprécie dans son métier, c'est la diversité des missions : « On est amené à faire de tout, voir de tout, conduire de tout ». Dans le secteur de Châteaubriant, les élevages laitiers sont nombreux, Adrien fait donc souvent des traites, mais il réalise également de nombreuses missions en production porcine : « J'ai été formé pour cela et je trouve cela plaisant ». Il peut intervenir aussi dans des élevages de poulets, de moutons, de canards, de lapins, et même sur des activités plus surprenantes, comme « tailler des kiwis » ou « couler du béton ».

Le métier évolue, comme l'agriculture

Cette variété de missions est amenée à s’accroître encore, puisque le remplacement suit l'évolution de l’agriculture et il forme donc ses agents à des pratiques (traite robotisée par exemple) et des activités nouvelles : « Nous avions de plus en plus de demandes de remplacement d'agriculteurs faisant de la vente directe. Nous avons à présent une collègue qui fait des missions sur les marchés », confie Adrien.

Depuis 13 ans qu'il fait ce métier, Adrien Robin a vu en effet beaucoup d'évolutions : « Globalement, l'agriculture se modernise, elle est de plus en plus technique, de plus en plus professionnelle, les conditions de travail sont moins difficiles. Avant, j'avais des traites en transfert, je n'en ai plus. Je cours aussi de moins en moins après les animaux. Mais les fermes sont de plus en plus grandes... Parfois, pour remplacer un couple, il faut y aller à deux agents. Parfois, aussi, je suis amené à travailler avec l'associé restant, lorsque l'autre est en vacances ».

"À présent, je connais 90% des fermes de mon secteur"

« Dans notre métier de remplaçant, l'un des moments-clés pour bien assurer une mission, c'est la prise de consignes. À présent, je connais 90% des fermes de mon secteur, donc, en général, cela se passe rapidement, je sais où sont les animaux, les équipements, les aliments.... Mais pour un salarié moins expérimenté, il est important de prendre le temps de lui montrer et d'expliquer. Certains agriculteurs font très bien cette transmission de consignes. Par exemple, sous forme d'un livre avec des photos. D'autres vont encore plus loin, en nous envoyant des vidéos : ils montrent comment mettre en route un appareil, comment dépanner un équipement ! Les exploitants qui font cela sont habitués à accueillir des stagiaires, à se remplacer entre voisins pour les week-ends, ou sont eux-mêmes passés par le service de remplacement avant de s'installer ».

La meilleure école... manque de jeunes

Le remplacement est en effet « la meilleure école de l'agriculture, on y apprend puissance 10 ! », selon Adrien. « Tout le monde devrait y passer avant de s'installer ! » lance-t-il, constatant, avec regret, que les jeunes en formation agricole ne semblent plus aussi motivés qu'avant pour travailler le week-end et durant les vacances. « On devrait en parler davantage dans les formations agricoles ». 

"Il est arrivé que nous ayons neuf demandes de remplacement pour un même week-end !"

Cette pénurie de main d’œuvre pénalise hélas la qualité du service. « Il est arrivé que nous ayons neuf demandes de remplacement pour un même week-end ! Or, nous n'étions que 5 salariés. On est alors obligés de refuser ce qui n'est pas prioritaire. Les gens sont parfois déçus. Le risque, c'est qu'à force d'avoir des refus, ils ne fassent plus appel à nous ».

Ce n'est pas Adrien Robin qui réalise les arbitrages, mais l'une des trois responsables de planning de l’association Arroch, trois agricultrices qui se chargent de cette tâche en alternance, un mois tous les trois mois : « Ce sont elles qui se font engueuler... Alors qu'elles sont bénévoles ! Les plannings, c'est vraiment compliqué à organiser ».

La continuité avec Erwan

Erwan, le fils d'Adrien, a quant à lui su saisir cette occasion de travailler et de parfaire ses connaissances en agriculture : « Il travaille dans une association de remplacement en parallèle de son bac pro depuis qu'il a 16 ans », raconte Adrien. « Au début, il allait faire ses remplacements en vélo ; puis, grâce à ses salaires, il a pu se payer une moto, et, à présent, qu'il a 18 ans, une voiture. Il était hyper motivé et il était très demandé en porcherie ». Le jeune homme va cependant devoir laisser un temps ses activités de remplacement, puisqu'il part en Saône-et-Loire à la rentrée prochaine pour un BTSA spécialisé en production ovine. Avec peut-être l'ambition de revenir s'installer dans quelques années.

Quant à Adrien, difficile pour lui de dire s'il sera encore remplaçant dans quelques années : « Cela use quand même ! Par exemple, le matériel n'est jamais à la bonne taille ». Mais pour l'instant, il a refusé les autres propositions d'emploi salarié qu'il a eues. « Je ne veux pas de monotonie dans mon travail. Et puis, je me sens plus libre aussi. Je peux dire, par exemple, à mes responsables de planning que je veux prendre une demi-journée. Comme je suis moi-même très adaptable, c'est donnant-donnant ».

Les autres articles de la série : 

Le remplacement agricole a 50 ans (1/4) : Un acteur incontournable de l'agriculture française

Le remplacement agricole a 50 ans (2/4) : Vacances, j'oublie tout ? Pas vraiment...