Revitaliser la campagne, à quel prix ?

[Edito] En 2020, le marché des maisons à la campagne a atteint un record, reflétant l’attrait des citoyens pour une vie plus verte. L’achat de terrains constructibles en zone rurale et périurbaine s’est également bien maintenu. Un engouement qui pèse sur le foncier agricole.

C’est du jamais vu. Malgré (ou à cause ?) de la crise sanitaire, le marché des maisons à la campagne a atteint en 2020 le nombre record de 111 930 transactions, pour une surface de 63 110 hectares et un montant de 23,5 milliard d’euros.

Le marché est en forte hausse y compris dans les secteurs habituellement moins sollicités du Grand Bassin parisien (Somme, Yonne, Orne) mais aussi dans les territoires éloignés des grandes métropoles (Creuse, Aveyron, Haute-Saône, Haute-Marne).

"Exode inversé"

Pour Emmanuel Hyest, président de la FNSafer, « ce phénomène démontre que de nombreux citoyens veulent changer leur façon de vivre ». Selon lui, « cet exode inversé sera durable »« On le verra l’an prochain, mais cela se confirme déjà sur la première partie de l’année 2021 », précise-t-il. Grâce au développement du télétravail, aspirer à un cadre de vie plus vert est désormais possible pour un bon nombre d’urbains.

« Cette modification des lieux d’habitation pourrait aussi engendrer une modification forte de l’économie du monde rural, avec toutes les conséquences positives que cela peut avoir sur le monde agricole », estime le président des Safer.

Avantage immédiat : cet « exode urbain » - les guillemets sont de rigueur tant le phénomène reste encore à caractériser - amène de nouveaux consommateurs sur les territoires, au bénéfice des productions locales et de la vente directe. Encore faut-il que les nouveaux installés s’acclimatent à l’environnement rural… Heureusement, le « bruit et l’odeur » des campagnes est désormais reconnu « patrimoine sensoriel » et protégé par une loi promulguée fin janvier 2021. Aux services régionaux incombe désormais la mission de « qualifier l’identité culturelle des territoires » !

Revitaliser sans urbaniser, la difficile équation

Emmanuel Hyest voit plus loin. Pour lui, cet engouement pour la campagne peut contribuer à développer un marché de services sur les territoires, des activités culturelles, d’hébergement, etc. Autant de nouveaux services pouvant être en lien avec les activités agricoles et valoriser l’agriculture. « Il y a vraiment quelque chose d’important qui se passe en ce moment en France », insiste-t-il.

Cet engouement pour la campagne a tout de même un revers : il vient perturber le marché du foncier agricole. Car l’achat d’une maison peut aller de pair avec l'acquisition de parcelles agricoles pour l’extension d’un jardin ou pour un usage de loisir (prés pour les chevaux, potagers, vergers, petits élevages non professionnels...). En 2020, 24 900 hectares « d’espaces résidentiels et de loisirs non bâtis » ont ainsi été soustraits de leur usage agricole, un niveau très proche de celui de l’urbanisation (27 200 hectares).

Terrains constructibles 

Outre les achats de maisons à la campagne, le marché de la construction individuelle a lui aussi bien résisté à la crise. Ainsi, si les surfaces urbanisées ont baissé de 12% en France, les surfaces achetées par les particuliers ne baissent que de 5%. Ce qui fait dire à la Safer qu’en 2020, « ce sont les projets de construction individuelle qui déterminent le plus le changement d’usage des sols ruraux vers l’urbanisation ».

Revitaliser la campagne doit donc être accompagné de garde-fous. D’autant que malgré la Loi climat, qui inscrit l’objectif de zéro artificialisation nette à 2050, « la vigilance reste de mise dans les zones de revitalisation rurale pour lesquelles un amendement prévoit un assouplissement des contraintes qui veillent à protéger le foncier », prévient Loïc Jégouzo, ingénieur d'études à la FNSafer.