Soil Capital : du bilan carbone au bilan comptable

L’entreprise belge de conseil agronomique Soil Capital lance un programme de rémunération du carbone en grandes cultures, moyennant un engagement de 5 ans et une rétribution à hauteur de 80% des certificats sur 5 ans et totale sur 15 ans. Quelques milliers d’euros, voire dizaines de milliers d’euros, sont potentiellement à capter, sans altérer la rentabilité des exploitations.

Le manque de confiance face aux changements de pratiques, la crainte de subir une perte financière, l’absence de rémunération dédiée : tels sont les trois paramètres qui, selon Soil Capital, dissuadent les agriculteurs de se convertir à des pratiques dites d’agriculture régénérative ou de conservation, contribuant à l’amélioration du bilan carbone des exploitations en minimisant le travail du sol au profit de la couverture végétale maximale.

Forte d’une communauté d’agronomes indépendants, l’entreprise belge de conseil, créée en 2013, œuvrait jusqu’à présent sur les deux premiers facteurs limitants, en prodiguant ses conseils et ses services de gestion à une cinquantaine d’exploitations, couvrant environ 185 000 hectares en Europe et dans le monde. Elle vient de s’attaquer au troisième facteur : la carotte, l’oseille ou plus précisément le blé, Soil Capital se concentrant pour le moment sur les grandes cultures.

"« Au-delà de l’enjeu financier pour les agriculteurs, les certificats carbones sont aussi le moyen de prouver, vis-à-vis de la société, que l’agriculture est une solution à la réduction des GES »."

« Notre ambition est de créer, à l’échelon européen, un marché carbone solide, crédible et pratique, énonce Chuck de Liedekerke, co-fondateur et directeur général de Soil Capital. Une grande partie de la solution au changement climatique passe par l’agriculture. Au-delà de l’enjeu financier pour les agriculteurs, les certificats carbones sont aussi le moyen de prouver, vis-à-vis de la société, que l’agriculture est une solution à la réduction des gaz à effet de serre (GES) ».

Entre 1 et 3 t/ha/an à 27,5 €/t minimum

Selon Soil Capital, la rémunération du carbone n’est en effet que la face émergée des bénéfices associés à l’agriculture de conservation et aux vertus du carbone dans le sol. Peuvent en effet être capitalisés des bénéfices aux plans de la structure physique, de la fertilité chimique, de la capacité de rétention en eau, de la vie microbienne, de la métabolisation des résidus de pesticides ou encore de la résistance à l’érosion.

Des bénéfices cependant difficilement matérialisables, contrairement au monétisable carbone. Soil Capital s’engage sur une rémunération minimale de 27,5 €/t/ha/an, sachant que le potentiel se situe entre 1 et 3 t/ha/an. L’entreprise a mis un point un simulateur en ligne (mySoilCapital) permettant à chacun de jauger son potentiel de réduction et/ou de séquestration de carbone, selon ses pratiques et ses cultures. 

"On est là pour favoriser l’adoption et le maintien de bonnes pratiques dans la durée."

« Qu’il cultive des pommes de terre ou des betteraves, qu’il soit déjà engagé dans un processus de réduction ou de séquestration, notre programme carbone n’exclut a priori aucun agriculteur, précise Nicolas Verschuere, co-fondateur de Soil Capital, exploitant 100 hectares de polyculture en Belgique. L’outil ne plafonne pas. On est là pour favoriser l’adoption et le maintien de bonnes pratiques dans la durée ».

Le mode opératoire est le suivant. L’adhésion au programme, d’une durée de 5 ans et engageant toute l’exploitation, démarre avec un diagnostic du bilan carbone de l’exploitation, préalable à l‘établissement d’une démarche de progrès. Le plan de gestion proposé doit être validé par l’agriculteur. Les bilans initiaux et annuels sont réalisés au moyen de Cool Farm Tool, un outil de quantification des gaz à effet de serre (GES) mis au point par des universités européennes (Cambridge, Oxford, Wageningen...). Son protocole (collecte de données, calcul et vérification) est conforme à la norme Iso 16064-2 relative à la quantification des GES. A l’issue du programme, ce sont les outils satellitaires qui se chargent de vérifier la perpétuation des pratiques

Soil Capital
Nicolas Verschuere et Chuck de Liedekerke, les co-fondateurs de Soil Capital

Rétribution en deux temps

Chaque année et pendant cinq ans, l’agriculteur est rémunéré à hauteur de 80% des gaz non émis ou stockés, sur la base de 27,5 €/t. « C’est un prix minimum, précise Chuck de Liedekerke. Nous refuserons de vendre en-deçà ». Ce qui signifie au passage que le contrat n’est pas assorti d’une garantie d’achat.

« Pour le moment, nous avons plus d’acheteurs que de certificats carbone à vendre », rassure le directeur général. Les certificats carbone sont commercialisés par South Pole, que Soil capital décrit comme une « entreprise pionnière de l’économie décarbonée et mondialement reconnue pour son approche éthique des marchés carbone ». Cargill (agroalimentaire) et IBA (technologie médicales) se sont portés acheteurs de certificats.

Le solde des 20% est versé entre la 11ème et la 15ème année du programme. Cette dissociation vise à inscrire la conversion dans le temps et à décourager les éventuelles tentations de marche arrière. « Ce ne serait pas dans l’intérêt des agriculteurs, prévient Chuck de Liedekerke. Les 20 % restants sont en fait affectés à une réserve d’assurance destinée à compenser un dégagement imprévu de carbone sur l’exploitation dans les dix ans suivant l’émission des certificats carbone, indépendamment des phénomènes météo et au-delà d’un seuil de 5% des réductions et/ou séquestrations enregistrées au moment de l’épisode ».

Dès 50 ha, moins de 3 heures par an

Selon Soil Capital, l’adhésion au programme est intéressante à partir d’une surface de 50 hectares, compte tenu du fait que les frais de gestion s’établissent à 980 €/an pendant cinq ans, indépendamment des surfaces en jeu. Au départ, il faut par ailleurs présenter des analyses de sol de moins de cinq ans.

Au cours du programme, l’agriculteur est susceptible d’être audité pour vérifier la réalité de ses pratiques. Soil Capital cible dans un premier temps les exploitations céréalières, ou tout du moins les exploitations dont la part végétale génère au moins 80% des GES. Le module élevage est prévu pour 2021.

« Soil capital est le premier programme de rémunération carbone réalisé par des agriculteurs pour des agriculteurs, conclut Nicolas Verschuere. Conscients de la charge administrative qui pèse sur nos métiers, on s’est attaché à faire en sorte que la fourniture des données nécessaires au fonctionnement du programme ne réclame pas plus de trois heures par an ». Les inscriptions pour le premier programme quinquennal sont ouvertes jusqu’au 31 décembre 2020.