Traités de libre-échange : en agriculture, il faut avoir "les mêmes cartes pour jouer"

L'Union européenne doit obliger les produits agricoles importés à respecter les mêmes normes environnementales que ceux produits en son sein pour éviter toute distorsion de concurrence, demandent ensemble la Fondation Nicolas Hulot et l'interprofession de la viande, Interbev.

Actuellement, les produits alimentaires importés dans l'Union européenne ne respectent pas toujours les mêmes normes que celles appliquées dans l'UE, souvent plus contraignantes, relèvent l'ONG et l'interprofession dans un rapport rédigé avec l'institut Veblen. Ils demandent un règlement européen sur les importations pour introduire des mesures-miroirs, ou clauses-miroirs, "c'est-à-dire de règles environnementales aux produits importés sur le territoire européen équivalentes à celles en vigueur dans l'UE", selon un communiqué. Cette réforme est "à porter dès maintenant pour une adoption en 2022, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne", soulignent les trois organismes.

"Des denrées rentrent sur le territoire européen de manière légale mais sans correspondre aux critères environnementaux de traçabilité et de bien-être animal", a dénoncé Samuel Léré, de la Fondation Nicolas Hulot, lors d'une conférence de presse en ligne le 25 mars. Il s'agit de "répondre à un triple enjeu : la sécurité alimentaire, la crise environnementale et pouvoir rémunérer les agriculteurs et les éleveurs", a-t-il poursuivi. Il s'agit aussi d'éviter "un abaissement des normes" au sein de l'UE et au contraire d'inciter les partenaires commerciaux de l'Europe à s'aligner sur des standards plus élevés en termes de pesticides, de bien-être animal et d'exigence sociale, explique Samuel Léré.

La FNH, Interbev et l'institut Veblen ne sont pas opposés au commerce international, mais "les trois organisations défendent une régulation de la mondialisation qui mette le commerce international au service de la transition agroécologique et d'une juste rémunération des agriculteurs en Europe, tout comme chez nos partenaires", expliquent-elles dans le communiqué.

Lentilles et viande bovine

La France est le premier producteur européen de viande bovine, "avec un modèle d'exploitation familiale, un modèle herbager" où les vaches mangent majoritairement de l'herbe, a fait valoir Marine Colli, d'Interbev, lors de la conférence de presse. "Ni la France ni l'Europe, ne nous donnent les moyens de protéger ce modèle. Au contraire, on nous laisse nous confronter de manière frontale à des modèles complètement différents au niveau mondial", avec des fermes usines ou des animaux nourris aux farines animales, a-t-elle regretté.

Les trois organisations prennent deux exemples concrets pour illustrer les problèmes causés selon elles par la situation actuelle "du deux poids deux mesures", avec la lentille et la viande bovine. "Moins chère et bourrée de pesticides interdits en Europe, la lentille canadienne supplante petit à petit les lentilles européennes", déplorent-elles. Ceci s'explique, selon le rapport, par l'usage du "Sencoral, un pesticide interdit depuis 2014 par la Commission européenne" car perturbateur endocrinien suspecté, et du "droit de recourir au glyphosate jusqu'à 4 jours avant la récolte".

"Difficile de voir rentrer des lentilles qui peuvent être à deux ou trois milligrammes de glyphosate par kilo."

"Si on n'a pas les mêmes cartes pour jouer, ça ne va pas", juge David Gonin, 51 ans, agriculteur dans l'Indre. Il cultive entre 40 et 60 hectares de lentilles, selon un cahier des charges strict, à travers lequel il vise le zéro résidu de pesticides. Une contrainte que ne connaissent pas les producteurs de lentilles du Canada, dont la production a explosé depuis une quinzaine d'années, et qui peuvent utiliser du glyphosate peu de temps avant la récolte. "Avant 2012, les résidus de glyphosate sur les grains récoltés devaient être inférieurs à 0,1 milligramme par kilo. Après 2012, l'agence européenne de sécurité alimentaire, l'Efsa, a augmenté ce taux à 10 milligrammes par kilo, 100 fois plus", explique M. Gonin. Pour lui, "c'est clairement pour permettre l'arrivée des lentilles canadiennes sur notre territoire européen".

Alors que la France consomme entre 60.000 et 70.000 tonnes de lentilles, elle importe, selon les années, entre 15.000 et 30.000 tonnes, selon M. Gonin, également administrateur de l'Anils (interprofession de la filière légumes secs). "Si on doit produire avec zéro résidu de glyphosate, c'est difficile pour nous de voir rentrer des lentilles qui peuvent être à deux ou trois milligrammes de glyphosate par kilo", ajoute-t-il.  "On est propre (...) mais ça n'est pas valorisé", déplore M. Gonin.

Avoir accès aux mêmes outils génétiques

Autre différence entre le Canada et la France, le matériel génétique à disposition : "aujourd'hui, en France, on n'a pas beaucoup de variétés de lentilles, une verte qui s'appelle Anicia et quelques blondes, et c'est tout", souligne M. Gonin. "Au Canada, ils ont une myriade de variétés, ils ont beaucoup travaillé la génétique", à l'aide des OGM et de nouvelles techniques de mutagénèse, qui font l'objet de sévères restrictions en Europe, ce que déplore M. Gonin. "On est concurrencé par cette génétique canadienne qu'on ne peut pas utiliser", dit il. Il souhaiterait, pour faciliter la production hexagonale, avoir accès aux mêmes outils génétiques que les Canadiens. "Les clauses miroirs, c'est aller dans les deux sens, de la réciprocité pour les produits sanitaires pour les Canadiens, mais ça pourrait aussi signifier qu'on accepte un peu plus de génie génétique pour nous, en Europe et en France", estime M. Gonin.

Farines animales

Dans le cas de la viande bovine d'aloyau, "la plus rémunératrice pour les éleveurs européens" car considérée comme la partie la plus noble du boeuf, "les accords de libre-échange déjà conclus ou en cours de négociation, supposeraient l'importation supplémentaire de 200.000 tonnes de viandes américaines, canadiennes et brésiliennes", à un prix moins élevé, selon Interbev. Avec à la clé 50.000 emplois menacés, selon l'interprofession. La différence de coût de production de cette viande s'explique par le recours à des farines de sang et de gélatine pour nourrir les ruminants, selon le rapport, ou encore l'absence de réglementation pour le transport des animaux au Brésil.

"La non-réciprocité de l'exigence de normes sanitaires pour les produits importés accentue les risques sanitaires pour les consommateurs européens", avec l'absence de traçabilité des animaux de leur naissance à l'abattoir, s'inquiètent les trois organisations. Pour FNH, Interbev et l'institut Veblen, de telles clauses-miroirs seraient compatibles avec les règles de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) et l'idée d'un règlement européen est soutenue par d'autres acteurs dans l'UE.