Une fuite géante de biogaz agricole causée... par les pouvoirs publics

L’Association des agriculteurs méthaniseurs de France dénonce le projet de cadre tarifaire entourant le biométhane injecté ainsi que la réforme du cahier des charges des digestats. Dénominateur commun à ces deux projets : la faveur donnée aux industriels au détriment des projets territoriaux agricoles. Un détricotage en règle du Plan méthanisation autonomie azote de 2012, au moment même où ce dernier atteint les objectifs qui lui étaient assignés.

Le 18 août dernier, une unité de méthanisation du Finistère laissait échapper 300m3 de disgestat, engendrant la pollution ponctuelle et momentanée d’un cours d’eau, et déclenchant une tempête médiatique. Ce mardi 15 septembre, le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) pourrait fermer les vannes de la méthanisation agricole, laquelle porte ce volet de la transition énergétique depuis bientôt deux décennies, sans que personne ne s’en émeuve, à part l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) et l’association France gaz renouvelables.

« Si le Conseil supérieur de l’énergie, auquel les agriculteurs ne siègent pas, entérine les projets de réforme qui ont été mis sur la table, c’est en fini du modèle de méthanisation agricole », déclare Francis Claudepierre, président de l’AAMF.

Projet d’arrêté tarifaire

Dévoilé il y a quelques semaines seulement, le projet de nouvel arrêté tarifaire est une litanie presque aussi longue que les substrats pouvant être recyclés dans un méthaniseur : suppression de la prime P2 au profit d’un prime effluents excluant les cultures intermédiaires à vocation énergétique, baisse de tarif en contrepartie d’une subvention de l’Ademe, tarif indexé trimestriellement et en fonction du volume de projets raccordés, durcissement des conditions d’obtention du tarif (ICPE et permis de construire requis), capacité maximale de production non annualisée et figée après deux ans de mise en service, prise en compte de la Covid-19 uniquement pour les contrats signés avant 2019...  

Francis Claudepierre, président de l’AAMF, entouré des vice-présidents Jean-Marc Onno (à gauche) et Mauritz Quaak. (Crédits photo : R. Lecocq)
Francis Claudepierre, président de l’AAMF, entouré des vice-présidents Jean-Marc Onno (à gauche) et Mauritz Quaak. (Crédits photo : R. Lecocq)

L’AAMF a fait ses calculs : le projet de réforme tarifaire impacte toutes les unités de méthanisation mais davantage celles injectant entre 80 et 200 Nm3/h de biogaz, autrement dit l’unité type de méthanisation agricole. « Nous ne sommes pas foncièrement opposés à une révision des tarifs mais nous demandons un traitement équitable, le projet de révision ménageant les plus grosses unités portées par des industriels de l’énergie et de l’eau », déclare Jean-Marc Onno, vice-président de l’AAMF.

Selon le projet présenté au CSE, les unités de plus de 250 Nm3/h pourraient voir leur tarif baisser de 1 % à 12 % selon le taux d’effluents agricoles mis en œuvre quand celui des unités de 100 à 250 Nm3/ pourrait baisser de 7 % à 15 %.

L’AAMF dénonce par ailleurs la réforme des mécanismes de soutien qui, outre une baisse de la subvention de l’Ademe (elle serait de 8% contre 10 à 15 % actuellement), introduit un mécanisme d’appel d’offre aux effets pervers, et là encore favorable aux industriels. « On pourrait se retrouver avec un tarif d’achat du gaz injecté et payé aux industriels supérieur à celui payé aux agriculteurs », dénonce Francis Claudepierre.

Cahier des charges des digestats

Selon l’AAMF, la primeur (et la prime) données aux industriels est corroborée par une autre disposition entourant la gestion des digestats. Le Ministère de l’Agriculture a en effet mis en consultation publique un projet de cahier des charges concernant le retour aux champs du digestat. Il a pour objet d’autoriser les sites industriels à commercialiser le digestat en dehors du cadre réglementaire sécurisant du plan d'épandage.

« Il est essentiel de conserver le lien au sol dans la valorisation du digestat », affirme Mauritz Quaak, vice-président de l’AAMF. « C’est l’une des externalités positives de la méthanisation agricole. Nous demandons à ce que toutes les unités de méthanisation disposent d’un plan d’épandage représentant une capacité minimale de 60% de la production de digestat ».

Remise en cause des soutiens financiers à l’investissement, nouveaux modes de calculs des tarifs d’achat du gaz assortis d’une baisse des tarifs, reconsidération des digestats : pour l’AAMF, les projets en cours constituent une attaque en règle au modèle de méthanisation agricole inscrit en 2012 dans le Plan méthanisation azote.

« Une incompréhension totale au regard des enjeux agricoles, sociaux, territoriaux, environnementaux », dénonce Francis Claudepierre. « C’est d’autant plus paradoxal que l’objectif de 1 000 méthaniseurs qui était assigné au Plan est en passe d’être atteint ». Afin de dépasser les tractations entre les ministères de l’Agriculture, de la Transition écologique et de l’Economie, l’AAMF en appelle à l’arbitrage du Premier ministre.