Va-t-on manquer de semences ? L'inquiétude grandit avec le conflit en Ukraine

Y aura-t-il assez de semences en 2023 ? C'est, du fait de la guerre en Ukraine, un sujet d'inquiétude pour la France, premier exportateur mondial de semences. Trois questions à Didier Nury et Rachel Blumel, respectivement vice-président et directrice générale de l'Union française des semenciers (UFS).

Quel est le poids de l'Ukraine dans la production de semences ?

L'Ukraine, gros exportateur de blé et de tournesol, est aussi un acteur majeur de la production de semences, activité stratégique pour ses équilibres agricoles mais aussi ceux de ses partenaires économiques. En 2020, l'Ukraine a produit des semences de céréales sur 70.000 hectares, contre 120.000 pour la France et environ 115.000 pour l'Espagne et l'Allemagne. Ce pays est la deuxième destination hors UE des exportations françaises de semences et plants. Plusieurs entreprises françaises y ont implanté des unités de production et de distribution. Ces activités, conjuguées aux exportations, représentent près de 400 millions des 3,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires des entreprises semencières françaises. Une quinzaine d'entreprises ont été impactées par la guerre (problèmes de transport, approvisionnement, sécurité).

Quel a été l'impact du conflit ?

L'Ukraine exporte surtout des commodités (blé, tournesol) sur les marchés. Privée d'une partie de ses semences, elle produira donc moins et exportera moins, indépendamment de l'amélioration des conditions d'exportation. Les agriculteurs, qui étaient exemptés de conscription, ont pu semer presque partout, mais avec des difficultés : manque de carburant pour les tracteurs, champs minés près des lignes de front, destruction de matériel agricole. On évalue la perte de la production de semences à entre 40 et 50%. C'est cela qui va poser problème. Parce que ce qui ne sera pas semé ne sera pas disponible pour être mis en culture l'hiver prochain. Il n'y aura pas de pénurie pour 2023 en France. En revanche, il va commencer à y en avoir au niveau de l'Union européenne dès 2023 et en 2024.  

Peut-on pallier ce manque  ?

La France aurait la possibilité technique de compenser, mais la flambée des cours des productions agricoles a rendu les semences moins attractives. Les agriculteurs ont été plus nombreux à privilégier la vente sur les marchés. En temps normal, le tournesol-semence, par exemple, est mieux payé que celui destiné à la fabrication d'huile, ce qui encourage les agriculteurs multiplicateurs. On ambitionnait cette année d'augmenter la production française de semences de tournesol, mais on n'a semé que 15.000 hectares, en baisse d'environ 10% par rapport à 2021. La disponibilité en semences pour 2023 sera donc amputée d'autant. La production de semences demande aussi plus de travail. Nous avons des contraintes d'irrigation - pour le maïs, le tournesol - au moment de la pollinisation : il faut éviter le stress hydrique pour que la plante produise ensuite à pleine capacité. Nous avons aussi des contraintes d'isolement: on demande à ce qu'il y ait entre 500 et 1.000 mètres entre les cultures pour garder la pureté de la variété qui en résultera - pour éviter les transferts via les pollens. Pour la production mondiale à venir de tournesol, tout dépendra de la récolte de semences en Californie, Turquie, Russie ou Argentine. Les espèces d'hiver, comme le blé, étaient déjà semées quand le conflit a débuté : s'il y a un problème de disponibilité, ce sera plutôt en 2024.