La hausse des taux d’intérêt, ou l’agrandissement en roue libre

[Edito] Le renchérissement du coût du crédit, allié à la capitalisation croissante des exploitations, complique l’équation économique des projets de reprise et va, à bas bruit, accélérer l’agrandissement et la concentration capitalistique.

La terre plus chère. Les bâtiments plus chers. Les animaux plus chers. Le matériel plus cher et pour finir, le crédit plus cher. Et en face, des céréales, du lait et de la viande qui ont bien du mal à suivre la cadence, et qui ne sont jamais à l’abri d’un trou d’air, volatilité oblige. Résultats : des ratios de rentabilité qui se dégradent, une solvabilité des projets de reprise qui s’émousse, des dossiers de financement qui virent au rouge, quand les mêmes, un an plus tôt, passaient au vert. Si la crise inflationniste percute l’ensemble de l’économie, l’agriculture présente une vulnérabilité particulière, du fait de la pyramide démographique : 100.000 exploitations seront potentiellement mises sur le marché dans la décennie à venir, un marché de vendeurs.

Le non-retour des prêts bonifiés

Or une partie du vivier réside dans les candidats dits non issus du milieu agricole (NIMA), que le renchérissement des capitaux et des taux d’intérêt risque d’exclure de l’écosystème, plus sûrement que les apparentés au milieu, financièrement moins contraints, sauf à choisir la voie du rachat de parts sociales de Gaec quand la possibilité se présente. Il ne faudra sans doute pas compter sur le retour des prêts bonifiés, réactivés cette semaine par le gouvernement pour permettre aux entreprises viticoles, non pas d’investir... mais de de rembourser leur PGE. En matière d’installation, rien ne dit que les Régions, qui ont récupéré les prérogatives et les budgets, vont opérer un tour de passe-passe et de vases communicants entre leurs différents dispositifs de soutien.

Capitulation et capitalisation

Les fonds de portage foncier, présentés comme une des solutions à l’allègement de la charge de reprise, pourraient eux aussi ne pas être épargnés par la hausse des taux d’intérêt. Sauf renversement de tendance, le scénario le plus probable qui se dessine est celui de l’agrandissement à marche forcée, plus ou moins forcée si l’on considère le taux de faux-semblants. A moins que la récente loi Sempastous, instaurant des garde-fous contre l’agrandissement excessif, via les cessions de parts sociales, ne s’avère efficiente. Mais rien ne dit qu’elle va couper tous les chemins permettant de contourner la régulation.

Tous les ingrédients sont donc réunis pour que le niveau atteint par les taux d’intérêt génère un appel d’air à l’agrandissement, un chiffon rouge agité par tous, avec plus ou moins de sincérité, mais qui ne va pas cesser de pâlir au fil du temps, au point de virer, sans bruit, au drapeau blanc : celui d’une capitulation en rase campagne, doublée d’une capitalisation galopante.