« 2023 risque d’être l’année du recul de l’agriculture bio en France »

C’est ce qu’a déclaré, Philippe Camburet, le président de la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab), devant la Commission des affaires économiques du Sénat. La Fnab réclame une rallonge du plan d’urgence, une revalorisation de l’écorégime, des perspectives sur le reliquat des aides à la conversion et plus encore sur la structuration des filières, seule à même de dépasser le plafond de verre de la bio.

« Filière bio : quel avenir ? » : tel était l’intitulé de l’audition, par la Commission des affaires économiques du Sénat, de Philippe Camburet, président de la Fnab et de Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio, le 18 octobre dernier. « 2023 risque d’être l’année du recul de l’agriculture bio en France », a lâché le président de la Fnab. Selon Philippe Camburet, la France comptait 60.088 exploitations certifiées bio au 31 août 2023, contre 60.483 au 31 décembre 2022, soit une très légère érosion, mais une érosion tout de même, potentiellement la première de l’histoire de l’AB. « Je ne vois pas ce qui pourrait inverser la tendance d’ici à la fin de l’année », craint le céréalier bio de l’Yonne, qui dénonce au passage la contagion de la crise au secteur céréalier. « Pour beaucoup, la vie en tant que céréalier bio risque de ne pas dépasser les cinq ans ».

"On sait qu’un certain nombre de fermes bio partent à l’agrandissement en conventionnel, c’est la double peine"

En 2022, le solde entre les conversions (5330 exploitations, -30,8%) et les déconversions (3290 exploitations, -31%) traduisait un réel coup de frein sur la dynamique de conversion mais il était encore positif. « On sait qu’un certain nombre de fermes bio partent à l’agrandissement en conventionnel, c’est la double peine. Il faut mettre des lignes rouges aux projets de reprise et favoriser au maximum les candidats en bio ».

Le « succès » du plan d’urgence décrété par le gouvernement au printemps dernier est un autre signal d’alarme de la filière. « Le plan est calibré à 60 millions d’euros mais le montant des demandes dépasse les 100 millions d’euros », indique Philippe Camburet, qui demande « une rallonge budgétaire pour juguler l’hémorragie ».

"L’aide au maintien, c’était, avant l’heure, les PSE, les paiements pour services environnementaux"

La bio (tout comme le conventionnel) va aussi devoir composer avec un écorégime révisé à la baisse, sous le double effet d’un budget corseté et d’un taux d’éligibilité supérieur aux prévisions. En 2023, l’écorégime bio va ainsi abandonner 18€/ha, soit une coupe d’environ 54 millions d’euros au plan national. « Plus l’écorégime sera défavorable à la bio, plus on encouragera les déconversions », estime Philippe Camburet, inconsolable orphelin de feu l’aide au maintien. « L’aide au maintien, c’était, avant l’heure, les PSE, les paiements pour services environnementaux, en d’autres termes, le moyen de récompenser les externalités positives de la bio que le marché peine à rémunérer, quand le contribuable paie les frais de la fermeture des captages d’eau ou de la dépollution de l’eau dus aux pesticides ».

Quid des reliquats des aides à la conversion ?

Une bouée budgétaire pourrait venir de l’aide à la conversion, dont l’enveloppe annuelle de 340 millions d’euros ne sera pas consommée, loin s’en faut. « On sera plus proche des 150 millions d’euros », estime le président de la Fnab, qui verrait d’un bon œil un transfert vers les agriculteurs bio en place, une aide au maintien qui ne dirait pas son nom en quelque sorte. Mais selon la Fnab, le ministère de l’Agriculture oppose une impossibilité technique, à savoir la nécessité de notifier à la Commission européenne une modification du Plan stratégique national. « Le ministère n’est pas disposé à dégainer cette cartouche, indique Philippe Camburet. Résultat : des fermes bio vont déposer le bilan alors que l’enveloppe des aides à la conversion ne sera pas consommée ». A moins que le reliquat n’échoie aux Maec, une perspective qui hérisse la Fnab.

Structuration, structuration, structuration

Comme l’a rappelé la directrice de l’Agence bio devant les sénateurs, les 26.000 exploitations bio pratiquant la vente directe ont enregistré une croissance de 4% de leurs ventes en 2022, quand l’ensemble du marché bio reculait de 4,6%. Autrement dit, les filières courtes démontrent que la bio répond aux attentes des consommateurs, en promesses, en localisme mais aussi en prix, l’inflation des produits bio ayant été de quatre points inférieure à celle de l’ensemble des produits alimentaires en 2022.

Pour le président de la Fnab, le défaut de structuration des filières explique le trou d’air de la bio. Le diagnostic n’est pas nouveau mais la crise actuelle en surligne les failles. « Les pouvoirs publics ont pêché par imprudence en nous laissant dans les mains de la demande, en pensant que le marché allait être bienveillant et nous soutenir jusqu’à ce que l’on devienne assez gros. Cela n’a pas été le cas. Il faut des outils de régulation du marché pour anticiper les évolutions de la demande, il faut que les maillons de la chaine s’engagent dans la durée, sur des volumes, avec une vision commune du marché et des indicateurs reconnus en commun, il faut davantage que deux produits bio dans l’Observatoire des prix et des marges, il faut pouvoir venir en aide aux producteurs qui auront besoin de trésorerie pour compenser du déclassement, payer du stockage ou de la transformation. C’est cette solidité-là qui donnera la confiance aux prochains candidats à la conversion et qui nous permettra d’atteindre 20% de SAU bio en 2030 ». La Fnab espère que le prochain Programme Ambition bio, attendu pour début 2024, comblera ces failles.