Avec le Pacte vert, l’Europe (se) fait peur

[Edito] La Commission européenne s’érige en grand chevalier vert de la planète, sans aucune garantie en termes de réciprocité et de sécurité alimentaire. Un Pacte vert ou vertigineux ?

« En ce qui concerne la question de la cohérence entre les normes et les standards, l’Union européenne va chercher à savoir dans quelle mesure, dans le cadre des règles de l’OMC, on va pouvoir s’assurer que les normes des produits importés soient très proches voire équivalentes à celles appliquées dans l’UE (...). On va réviser les demandes de tolérance à l’importation pour les produits non autorisés dans l’Union européenne et il sera important de prendre en compte non seulement les questions liées à la santé humaine mais on va intégrer les aspects environnementaux qui sont d’un intérêt mondial, tels que la biodiversité, l’impact sur les pollinisateurs, sur les émissions de gaz à effet de serre ».

Ainsi s’exprimait Pierre Bascou, directeur de la Direction « Durabilité et aide au revenu » à la Direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne, le 15 septembre dernier au Space, à Rennes. Le haut fonctionnaire bruxellois justifiait ainsi la mise en œuvre du Pacte vert (Green deal), la stratégie dictée par la Commission européenne en décembre 2019 et destinée à inscrire le continent dans la durabilité et la résilience au changement climatique, ainsi que la neutralité carbone à l’horizon 2050, dans tous les secteurs (agriculture, énergie, industrie, transport...).

L’autonomie alimentaire, non. La sécurité, oui

Dans le secteur agricole, le Pacte vert se matérialise par les stratégies Farm to fork (de la ferme à la fourchette) et Biodiversité. La Commission s’est fixée six objectifs chiffrés, mais juridiquement non contraignants, à l’horizon 2030 : -50% de pesticides, -50% d’antimicrobiens, -50% de pertes de nutriments, 25% de SAU en agriculture biologique, 10% de SAU en infrastructures agroécologiques et, d’ici à 2025, 100% d’accès à internet à haut débit en zones rurales. Car la Commission mise beaucoup sur l’innovation et les technologies pour relever les défis, à commencer par la baisse de la production agricole.

Un organisme de recherche de la même Commission l’évalue entre 10% et 15%, alors même que le Pacte vert est une stratégie de « croissance », dixit Pierre Bascou, citant la bioéconomie et le bas carbone. « Cette étude est tout à fait valable mais c’est un peu le scénario du pire car elle raisonne à gains de productivité, technologies et modes de consommation constants », commente-t-il. Précisons que dans le Pacte vert, rien n’enjoint les consommateurs à changer de régime alimentaire. « L’objectif de la Pac, c’est d’assurer la sécurité alimentaire, pas d’assurer l’autonomie alimentaire, dit encore le haut-fonctionnaire. L’Europe n’a pas suffisamment de terres arables pour assurer son autonomie. Ce qui est important pour la Commission, c’est d’assurer notre capacité de production au sein de l’Union et d’assurer un commerce et des canaux d’importation qui fonctionnent bien ». On s’étouffe. Mais avec des produits sains, et quelle que soit leur provenance.

L’Europe fait peur ou se fait peur ?

Car pour orienter les consommateurs vers des produits plus sains et plus durables, l’UE a un autre atout dans sa manche verte : l’étiquetage durable. Il vise à donner aux consommateurs des informations plus précises sur le degré de durabilité des aliments, ce qui sera, de surcroit, le moyen de mieux valoriser les efforts réalisés par les agriculteurs européens. Mais pas seulement. En effet, cet étiquetage s’appliquerait à l’ensemble des produits consommés dans l’Union européenne, qu’ils soient produits à l’intérieur ou à l’extérieur. « Cela ne sert à rien de faire des efforts au niveau de l’Union européenne si l’on n’arrive pas à convertir ces efforts au niveau international, affirme Pierre Bascou. Beaucoup de pays exportant vers l’Union européenne voient cela d’un très mauvais œil ». L’Europe fait donc peur. Mais à qui ?