Comment faire aboutir les Projets de territoire et de gestion de l’eau ?

Une mission du CGAAER et du CGEDD formule plusieurs recommandations, sur la base d’une expertise menée au sein de 15 PTGE problématiques. Selon la mission, les PTGE constituent l’instance idoine pour appréhender dans la durée l’équilibre entre la ressource et les usages. Le succès, ou l’échec, se jouent en grande partie dès la genèse d’un PTGE.

Définis par l’instruction du 7 mai 2019, les Projets de territoire et de gestion de l’eau (PTGE) visent à définir, au sein d’un périmètre hydrologique cohérent, les conditions d’une gestion équilibrée et durable de l’eau entre les différents usages et usagers, en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes et en anticipant le changement climatique, le tout par la voie d’une démarche locale concertée recherchant le consensus et l’engagement entre les différents acteurs du territoire. Multi-acteurs, multi-usages, multi-leviers : telle est la devise des PTGE.

L’intérêt des PTGE confirmé

Une centaine de PTGE est actuellement recensée mais beaucoup sont aux prises à des difficultés, freinant voire bloquant leur aboutissement. Ces difficultés portent sur la mise en œuvre de la démarche, la gouvernance, la mobilisation des connaissances, le cadre juridique, les rôles de l’Etat et des collectivités ou encore les enjeux économiques et financiers. La chose n’est pas nouvelle. En 2017, les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique avaient mis sur pied une cellule de crise destinée à dénouer les ex-Projets de territoire, apparus en 2015, devenus PTGE en 2017. En 2021, les mêmes ministères ont confié une mission d’appui au CGAAER (*) et au CGEDD (**) dont l’expertise a porté sur 15 PTGE. Première conclusion : les PTGE demeurent le bon outil pour « appréhender sans les dissocier les dimensions environnementale, économique et sociale de la gestion de l’eau et qui mise sur l’intelligence collective pour identifier une trajectoire de gestion équilibrée de la ressource puis la concrétiser à travers un programme d’actions ».

« Dans un PTGE, tout se joue au début »

Cependant, la mission a identifié des voies de progrès et formulé des recommandations destinées à déverrouiller les projets. « Dans un PTGE, tout se joue au début, relève la mission. Des objectifs d’ensemble peu clairs ou mal compris, une insuffisante écoute préalable des préoccupations et des attentes des acteurs locaux, une marginalisation de certains d’entre eux, toute ambiguïté dans l’organisation de là démarche ou dans le « qui fait quoi », sont autant de facteurs qui empêchent la démarche de s’engager sur de bons rails ».

Au stade de la phase d’émergence d’un PTGE, la mission préconise l’établissement d’une feuille de route, explicitant les grands objectifs et les grands principes du PTGE, les modalités de la gouvernance et de la prise de décision, le contenu des différentes étapes opérationnelles et le calendrier. Elle définit aussi la manière dont le public sera associé à la démarche.

La mission propose que la feuille de route, une fois adoptée par la gouvernance du territoire, soit validée par le préfet référent du PTGE. Lors de la phase d’élaboration, l’établissement d’un état des lieux et du diagnostic initial et prospectif doivent être systématisés, le diagnostic devant faire l’objet d’une validation par le préfet référent.

La phase d’élaboration d’un PTGE pouvant durer plusieurs années, afin de déjouer l’attentisme, la mission recommande d’identifier des actions dites « sans regret », susceptibles d’être mises en œuvre rapidement et aux effets bénéfiques sur la ressource en eau, quelle que soit l’ampleur du changement climatique.

Les recommandations relatives à la gouvernance

La gouvernance étant une des clés de la réussite des PTGE, la mission pointe l’importance du portage politique, aux côtés du portage opérationnel. Qu’il soit assuré par une collectivité territoriale, un établissement public ou une structure porteuse de SAGE, il importe que sa légitimité soit reconnue par l’ensemble des parties prenantes. La mission juge pertinent que le portage politique du PTGE engage systématiquement une collectivité territoriale.

L’implication des différentes parties prenantes est tout aussi essentielle et la gouvernance se doit d’être « multi-acteurs », pouvant justifier, le cas échéant, l’instauration d’une « discrimination positive ». « L’implication dans les démarches territoriales des filières agricoles et plus globalement de l’environnement économique de l’agriculteur (coopération, négoce, assurance, crédit) s’avère souvent faible ou inexistante », relève la mission. L’implication des associations est jugée quant à elle « variable ». Et quand elles peinent à faire entendre leur voix, elles peuvent porter le fer devant la justice administrative en contestant les autorisations uniques de prélèvement ou les autorisations de retenues, « au risque d’enrayer le processus ».

Scénario « sans projet » et analyse couts-bénéfices

La mobilisation et le partage des connaissances est une faiblesse du dispositif. « Le PTGE ne peut se construire sur de "l’à peu près" : la mobilisation et le partage de connaissances éprouvées conditionnent la solidité des analyses, la bonne compréhension des enjeux territoriaux et la confiance entre les acteurs. Les besoins d’actualisation ou de compléments de connaissance doivent être identifiés dès la phase d’état des lieux, et les études correspondantes engagées et pilotées », indique la mission.

La construction de plusieurs trajectoires possibles d’évolution du territoire en fonction de scénarios de gestion de la ressource en eau, puis le choix de l’une d’elles et de son programme d’actions associé constituent un écueil volet prospectif du PTGE, selon la mission. « L’intérêt d’un scénario "sans projet" est mal compris, et sans cette situation de référence la négociation devient le principal outil pour arrêter la trajectoire à suivre. Il est nécessaire d’évaluer les incidences de pour pouvoir par là concertation choisir une trajectoire d’évolutions souhaitable et, à travers elle, identifier là nature et l’intensité des actions à mettre en œuvre, puis les réaliser ».

L’analyse coûts-bénéfices est une autre lacune de la démarche, qualifiée de « parent pauvre », alors qu’elle est un outil d’aide à la décision pour la réalisation d’actions, notamment faisant appel aux aides publiques. La mission recommande d’en faire un véritable outil de dialogue, de systématiser la définition d’un scénario « sans projet » et d’évaluer l’efficience économique et la valeur ajoutée des différents scénarios envisagés.

Leviers financiers et juridiques

La mobilisation de l’ingénierie financière des territoires étant nécessaire pour s’assurer de la faisabilité des investissements et de leur rentabilité en tenant compte des éventuels soutiens publics, la mission recommande d’associer les financeurs dès le début de la démarche, de privilégier les maitrises d’ouvrage collectives ayant une assise financière solide et d’étudier les possibilités de prêts à très long terme pour les infrastructures lourdes. Pour faciliter la gestion territoriale de l’eau, la mission liste une série d’actions, dont certains à caractère réglementaire, relatives à la diffusion des données sur les usages de l’eau, à l’amélioration de là connaissance de là ressource (notamment en période de hautes eaux) et de l’impact des prélèvements, à la mobilisation des plans d’eau inutilisés ou encore à l’évolution des règles de répartition de l’eau entre agriculteurs pour ouvrir l’accès à l’irrigation à de nouveaux agriculteurs.

Une procédure de labellisation des PTGE pourrait être examinée. Un centre de ressource national dédié aux PTGE pourrait proposer des documents de référence (référentiels de méthodes, modèles de cahiers des charges, etc.) et permettre de capitaliser et de partager les expériences des territoires. Un groupe national d’appui pérenne pourrait répondre à des demandes ponctuelles de PTGE souhaitant une tierce expertise temporaire pour essayer de dénouer certaines situations difficiles et aider à franchir une étape.

(*) Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux

(*) Conseil général de l’environnement et du développement durable