Compétitivité des filières (3/10) : des fruits et légumes frais... et cuits

Le déficit commercial en fruits et légumes frais ne cesse de se creuser, dépassant les 2 milliards d'euros en 2019. Sans surprise, le coût du travail pénalise la filière. La réglementation environnementale est aussi incriminée par les professionnels.

Le déficit commercial de la France en fruits et légumes a atteint 2,1 milliards d'euros en 2019, générant des taux de dépendance de 60% en fruits frais tempérés et de 79% en légumes frais, hors pommes de terre. Tel est le constat dressé par FranceAgriMer dont la Commission agricole et agroalimentaire internationale, à la demande du ministère de l’Agriculture, a scruté la décennie passée pour établir un diagnostic de compétitivité des différentes filières. Les fruits et légumes frais remportent la palme du déficit, devant les produits de la pêche, le tabac, la viande, le chocolat et les confiseries.

Dans le cas des fruits frais (tempérés) et des légumes frais (hors pomme de terre), la dépendance croissante aux importations est due à la baisse structurelle de production nationale, cette dernière n’est plus suffisante pour couvrir la consommation intérieure qui demeure stable.

Fruits : le déficit multiplié par 5 en 5 ans

En 15 ans (2005-2019), la balance commerciale de la France en fruits frais s’est largement dégradée. Le déficit encore léger en 2005 (-197 millions d'euros) passe à -932 millions d'euros en 2019. C’est la dégradation des échanges avec les partenaires européens qui explique très majoritairement cette aggravation du déficit. Le déficit de la balance avec les pays tiers s’est également creusé mais dans une moindre proportion.

Les importations de fruits frais tempérés sont en hausse continue (+73% entre 2005 et 2019) et proviennent essentiellement d’Espagne, assez loin devant l’Italie, la Turquie et le Maroc.

Les exportations françaises de fruits frais, qui étaient stables voire en légère augmentation (en euros courants) depuis 2005, marquent le pas à partir de 2015 (-27% entre 2015 et 2019), notamment du fait du recul des exportations de pommes (-31% sur cette même période). La France compte parmi ses principaux marchés d’exportation l’Allemagne et le Royaume-Uni qui figurent dans le top 5 des importateurs mondiaux de fruits frais tempérés. Toutefois, ces derniers ne font pas partie des pays les plus dynamiques et sont même en stagnation depuis 15 ans. À la différence, les États-Unis, la Chine et Hong-Kong représentent des marchés en nette croissance depuis 2005. Or la France n’est pas positionnée sur ces marchés.

Les légumes frais, champions du déficit

Le déficit commercial de la France en légumes frais s’est également creusé ces 15 dernières années puisqu’il est passé de -529 millions d'euros en 2005 à -1,2 milliard d'euros en 2019. Il s’est creusé avec les pays tiers mais surtout avec les pays de l’UE. C’est l’augmentation des importations françaises (+59% entre 2005 et 2015), qu’elles viennent de l’UE ou des pays tiers, qui est le principal facteur explicatif de ce fort accroissement du déficit.

De leur côté, les exportations françaises de légumes frais n’augmentent que très peu en valeur entre 2005 en 2015 (+23% en euros courants). Les pays destinataires sont très concentrés puisque les dix premières destinations représentent environ 90% des échanges et ce, de manière relativement constante durant toute la période. Il s’agit uniquement de pays européens. Parmi les principaux pays clients de la France, on compte l’Allemagne, puis l’Italie, la Suisse, l’Espagne, le Royaume- Uni, la Belgique et les Pays-Bas. L’Allemagne reste le premier pays importateur de légumes frais dans le monde, ce qui en fait un débouché essentiel pour la France. Toutefois ce marché n’est pas dans une réelle dynamique de croissance comme peuvent l’être les États-Unis ou le Canada.

Les coûts de production incriminés

Sans surprise, sur des denrées exigeantes en main d’œuvre, le coût du travail plombe les performances du secteur, selon le groupe de travail mobilisé sur le sujet, et représentant tous les maillons de la chaine. Les acteurs du secteur pointent aussi l’inadaptation des allègements sur le coût du travail, avec en ligne de mire le TODE (Travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi agricoles), qui porte exclusivement sur la main d’œuvre peu qualifiée, empêchant la montée en compétence. Son caractère précaire et reconductible est par ailleurs perçu comme repoussoir à l’investissement.

Au coût du travail s’ajoutent le coût des intrants, à tous les niveaux de la chaine (amont et aval) et les surcoûts induits par l’abandon de moyens de lutte chimique, auxquels se substituent des travaux manuels ou mécaniques plus fréquents et plus coûteux.

La réglementation au banc des accusés

Avec les coûts de production, la réglementation est l’autre faiblesse de la filière en termes de compétitivité. « La France développe un corpus réglementaire en matière d’exigences environnementales qui créent des distorsions de concurrence importantes au sein du marché européen, aux dires des acteurs. La règlementation environnementale nationale, privilégiant les hauts standards de production (bio, HVE, etc.) entraine une réduction de la production française qui s'adapte ainsi à une partie de la demande nationale. D’où la difficulté pour les entreprises de répartir le risque sur plusieurs clients et plusieurs pays, qui ne sont pas demandeurs des hauts standards mais de produits répondant au quadriptyque variétés, coloration, prix et facilité logistique ». La politique de produits à hauts standards de qualité entraine un décrochage de l’offre française par rapport à l'offre de produit générique, faisant ainsi le lit des importations.

Les protocoles phytosanitaires sont jugés de plus en plus draconiens et quelque fois inapplicables avec une absence de réciprocité. La loi Egalim, législation franco-française, dans un monde de compétition internationale, est également critiquée, de même que l’organisation de l’action publique (manque de coordination entre administration, multiplicité des démarches...)

L’impact de la logistique

Sur le sujet fondamental de la logistique, les acteurs adressent un satisfecit au transport routier (en dépit d’un manque de concurrence dans certains régions) mais pointent des difficultés de chargement sur les ports français, au bénéfice des ports d’Europe du Nord. La logistique de distribution et d’éclatement est jugée perfectible, comparativement à l’Allemagne et aux Pays-Bas. En ce qui concerne le fret ferroviaire, l’écart entre le coût et le service rendu conduisent au déraillement.

Sous-investissement tous azimuts

Les professionnels dénoncent par ailleurs un manque d’investissements dans la recherche et l’expérimentation (notamment pour faire face à la perte des produits phytosanitaires), dans les outils productifs (parc de serres, plantations de vergers, bâtiments de stockage de pommes de terre, etc.) pour permettre aux filières de s'adapter au contexte national et international, améliorer les performances des exploitations et être en phase avec les attentes des marchés. Le manque d’accompagnement public est aussi cité, alors que certains États membres de l’UE, tels que la Pologne, sont fortement soutenus par les Fonds structurels européens.

Les entreprises exportatrices déplorent enfin la difficulté d’accès aux capitaux, indispensables à l’investissement (matériels, logistique, moyens supports...) et à la massification de l’offre.