Des NGT sur la trace des OGM, mais sans les traces

[Edito] La Commission européenne vient d’ouvrir le chantier d’une réglementation distinguant les Nouvelles technologies génétiques (NGT), reposant sur la mutagénèse, des OGM, recourant à la transgénèse. C’est peu dire que les OGM ont laissé des traces, moins dans les champs que dans le débat public. Les NGT visent à peu près le contraire.

Des modifications génétiques plus ciblées, plus précises et plus rapides que les techniques traditionnelles de sélection, des plantes issues des NGT aussi sûres que les variétés issues de ces mêmes techniques traditionnelles de sélection, une surveillance adaptée à leur profil de risque, des traits génétiques potentiellement porteurs de durabilité, d’adaptation au changement climatique et de sécurité alimentaire, le tout sans modifier le moindre gène de la réglementation OGM en vigueur depuis 2001 : tels sont les arguments énoncés par la Commission européenne, qui a présenté le 5 juillet une proposition de loi visant à distinguer le cadre juridique des NGT de celui des OGM, le tout sur fond de Green deal. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE vont désormais se saisir de la proposition de la Commission.

L’épisode des VRTH non transgéniques

L’élément déclencheur du projet peut être daté du 25 juillet 2018, jour où la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décrété que les organismes obtenus par mutagenèse constituaient des OGM et qu’à ce titre, ils étaient soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM datant de 2001. La décision fermait ainsi la porte aux Variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) représentées par les variétés Clearfield (colza et tournesol) et Express Sun (tournesol) et obtenues selon les cas par la sélection de mutants spontanés, la mutagenèse in vitro ou la mutagénèse in vivo. En France, dans un avis rendu en février dernier, l’Académie des technologies, sollicitée par le gouvernement, s’était prononcée pour l’adoption d’une procédure « différenciée » et « assouplie » pour l’évaluation des risques sanitaires en environnementaux liés aux organismes issus des NGT, non sans l’assortir de garde-fous (évaluation socio-économique, biovigilance, sociovigilance, harmonisation réglementaire internationale...)

Prévenir les phénomènes de concentration

L’Académie des technologies avait également prôné un déploiement progressif des NGT, ce qui ajouterait aux précautions tout en prévenant les concentrations observées lors du développement des OGM. Une concentration à triple étage : géographique (85 % sur le continent américain), spécifique (soja, maïs, coton et colza représentent 99 % des surfaces OGM) et agronomique (la tolérance aux herbicides et la résistance aux ravageurs concentrant la quasi-totalité » des modifications génétiques. Sur ce point, l’Académie se veut rassurante. Sur les 521 études publiées entre 1996 et 2022, les traits de sélection des NGT par ordre décroissant sont les suivants : qualité́ des produits pour l’alimentation humaine et animale (124 résultats), croissance et rendement (116), résistance aux stress biotiques (92), adaptation à une utilisation industrielle (75), tolérance aux herbicides (45), résistance aux stress abiotiques (31), amélioration de la couleur/flaveur (26), amélioration de l’aptitude à la conservation (12). Les espèces végétales les plus étudiées sont, par ordre décroissant, le riz, la tomate, le maïs, le soja, le blé, la pomme de terre et le colza.

L’Académie mentionne également le phénomène de concentration industrielle inhérent aux biotechnologies, que les NGT ne vont pas démentir, tout en pointant le retard de la France et de l’UE par rapport aux Etats-Unis et à la Chine dans le domaine de l’édition du génome, symbolisée par les le système de ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9, qui a valu à sa co-découvreuse française un Nobel de chimie en 2020, ouvrant de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le domaine de la santé humaine.

Les anti-OGM vent debout

Attendue de longue date, l’annonce de la Commission européenne, qui a remisé à plus tard la question épineuse de la propriété intellectuelle, a engendré des réactions convenues. Initié par l’Union française des semenciers en 2019 et réunissant 28 organisations agricoles, le Collectif en faveur de l’innovation variétale salue « une première étape vers une réglementation européenne adaptée ». Du côté des opposants au projet, dont la Confédération paysanne, Greenpeace ainsi que ceratins élus, on dénonce pêle-mêle les « OGM cachés », la déréglementation de la directive de 2001 sur les OGM, la négation du principe de précaution, la mainmise de quelques groupes agrochimiques sur le vivant ou encore la tromperie des consommateurs.

« Dans l’ensemble, les OGM sont loin d’avoir tenu leurs promesses, ce qui ne signifie pas qu’ils sont sans intérêts, mais que la réalisation d’un potentiel technologique dépend toujours d’un ensemble d’éléments économiques, institutionnels, culturels, technologiques... », devisait l’Académie des technologies dans son avis de février. C’est peu dire que les OGM ont laissé des traces, moins dans les champs que dans le débat public. Les NGT visent à peu  près le contraire. Ce n’est pas gagné.