Dix ans d’Ecophyto en viticulture : les fermes Dephy ont réussi le pari !

Le bilan de 10 années d’Ecophyto sur les 415 exploitations viticoles engagées dans des groupes Dephy n’est pas si mauvais : - 25 % d’utilisation de produits phyto, hors produits de biocontrôle. Ce ne sont pas les 50 % promis, mais des leviers techniques, des progrès sont possibles, sans dégrader les performances économiques.

A l’heure de la « pause » sur le plan Ecophyto et la construction d’un nouveau plan, il est intéressant de se pencher sur ce qui a fonctionné : les fermes engagées dans les groupes Dephy. La commission d’enquête parlementaire avait qualifié fin 2023, « de laboratoires vivants qui démontrent qu’il est techniquement et économiquement possible de produire en s’affranchissant de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques ».

« Un groupe Dephy, ce sont 10 à 12 personnes volontaires pour aller vers la réduction des produits phytosanitaires, qui travaillent sur des thématiques qu’ils ont choisies, adaptées à leur contexte, et qui sont accompagnées par un ingénieur réseau », présente Florent Banctel. Cet accompagnement technique est très conséquent, puisqu’il correspond environ à un mi-temps d’un conseiller viticole, financé à 75 % par le programme Ecophyto et à 25 % par son organisme employeur (dans la majorité des cas, c’est une chambre d’agriculture).

Le bilan des 36 groupes Dephy français

Lors du Sival, Salon des production végétales spécialisées qui s’est tenu à Angers en janvier dernier, deux acteurs de terrain de ces groupes Dephy se sont livrés à cet exercice du bilan de 10 années : Camille Domec-Moulié et Florent Banctel, conseillers viticoles à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. Ils ont restitué les résultats obtenus à l’échelle nationale (415 exploitations, réparties en 36 groupes Dephy) et des résultats plus locaux, sur le groupe de 12 viticulteurs de la cave coopérative Robert et Marcel de la région de Saumur (49), encadré par .

Un accompagnement au plus près du terrain

L’ingénieur réseau réalise des conseils individuels et en groupe, organise des visites d’études, propose des réunions en bout de parcelle ou chez les différents membres, diffuse et échange les informations, dans l’optique d’accompagner son groupe dans la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. L’ingénieur Dephy est généralement un expert viticole, mais il peut aussi faire appel à d’autres collègues, sur des thèmes spécifiques, « c’est l’avantage d’être en réseau », confie Florent Banctel.

Les techniques qui permettent aux vignerons de réduire leur utilisation des produits phyto sont  nombreuses et variées. Le bilan à l’échelle nationale fait apparaitre que les leviers les plus fréquemment employés pour réduire la consommation des insecticides ont été les observations, piégeages et comptages des insectes, ainsi que l’abonnement aux bulletins techniques pour suivre les alertes d’arrivée des ravageurs.

Pour réduire l’emploi des fongicides, les leviers utilisés sont les bulletins techniques et les observations in situ des contaminations, mais aussi la modulation des doses et l’aération des feuillages. Sur ces deux familles de produits, il y a l’optimisation de la pulvérisation, l’utilisation de panneaux récupérateurs, l’emploi de produits alternatifs, la confusion sexuelle, les cépages résistants…

Sur la réduction des herbicides, les membres du réseau ont très majoritairement employé le désherbage mécanique et l’enherbement. C’est d’ailleurs sur ce volet que les résultats sont les meilleurs : depuis leur entrée dans le dispositif, 35 % des viticulteurs ont totalement cessé d’employer des herbicides, tandis que les autres en ont réduit l’usage.

Sur le volet des fongicides (les pesticides les plus employés en viticulture), la baisse exprimée en IFT (indice fréquence de traitement) est de l’ordre de 25 %. Elle est de l’ordre de 10 % pour les insecticides. En revanche, l’utilisation des produits de biocontrôle est en forte hausse (+ 45 %).

Moins 14 % tous produits et moins 25 % hors biocontrôle

Finalement, tous produits confondus, les viticulteurs des groupes Dephy ont réduit de 14 % leur consommation de produits phytosanitaires. Si on exclut du calcul les produits de biocontrôle (peu préoccupants pour l’environnement et la santé), la baisse de consommation s’élève à 25 %. Sans surprise, cette moyenne recouvre des réalités différentes, avec 70 % d’exploitants qui ont réduit leur consommation, 20 % qui l’ont augmentée et 10 % qui l’ont maintenue.

Au sein du groupe de la cave Robert et Marcel, les vignerons sont allés plus loin dans leur réduction de produits phyto en divisant par deux leur consommation d’herbicides et de fongicides. Ils n’utilisent plus du tout d’insecticide : « Même pas d’insecticides de biocontrôle », précise Camille Domec-Moulié.

 

C.Perrot
Camille Domec-Moulié, ingénieur Réseau Dephy, accompagne un groupe Dephy de 12 viticulteurs volontaires de la cave Coopérative Robert et Marcel.

«Leur utilisation de produits classés CMR (Cancérigène, mutagène, reprotoxique) s’est aussi considérablement réduite ».

Cette réduction a été obtenue grâce à la combinaison de plusieurs techniques : l’amélioration de la pulvérisation, la modulation de doses, l’emploi de produits de biocontrôle, le désherbage mécanique, les engrais verts, les cépages résistants, la gestion de la vigueur ou encore l’effeuillage des vignes…

À l’échelle du réseau national, l’analyse des résultats montre que les réductions de phyto n’ont pas dégradé les autres performances : les exploitations ont diminué leurs charges en produits phyto, maintenu leurs charges de mécanisation, n’ont pas augmenté leur temps de travail, ont légèrement diminué leur consommation énergétique, et légèrement réduit leurs émissions de gaz à effet de serre. « La diminution des IFT fait peu varier les performances des systèmes », commente Florent Banctel, tout en soulignant que cette moyenne nationale recouvre des disparités fortes selon les situations de production, les pratiques et, bien sûr, la pression des maladies et ravageurs.

Maintenir la trajectoire, diffuser les résultats

Chevilles ouvrières d’Ecophyto, les deux ingénieurs ont été déçus de la mise sur pause du programme qui a entrainé le report des rencontres nationales Dephy viticulture qui devaient se dérouler les 8 et 9 février simultanément à Angers, Rouffach, Saint-Emilion et Montpellier. 

« Ces fermes montrent que la réduction est possible. Il faut néanmoins du temps. C’est un peu comme si on demandait à nous, citoyens, de réduire notre consommation électrique de moitié ! Cela nécessite des investissements, des changements dans la manière de travailler, des recrutements de personnel, on ne peut pas changer dix paramètres en même temps, il faut des années pour lisser tous ces changements sur le plan économique », explique  Florent Banctel.

Si ces fermes Dephy ont réussi à réduire davantage leur usage de produits phyto que la moyenne des autres exploitations c’est, selon Florent Banctel, surtout grâce à la dynamique de groupe. « Les échanges entre pairs, c’est ce qui fait le plus avancer. Cela peut apporter de la réassurance, cela atténue les prises de risques, cela incite davantage à oser des approches nouvelles. »