Irrigation : quand l’eau passe les frontières ou s’envole

Une étude de France Stratégie estime que les cultures dédiées à l’exportation représentent 34% de l’ensemble de la sole irriguée en France, tandis qu’un milliard de m3 s’évapore des retenues artificielles, équivalant à 5,5% des volumes stockés et 18% de la consommation annuelle nationale. En revanche, l'étude ne dit rien de l’envasement des réservoirs. Sous l’effet du changement climatique et de moindres précipitations, la ressource en eau renouvelable a baissé de 14% en 15 ans.

Publiée en avril, l’étude de France Stratégie, l’organisme d'expertise et d'analyse prospective rattaché aux services du Premier ministre, n’apporte pas d’éléments foncièrement nouveaux sur la ressource en eau et ses différents usages. En 2020, la France prélevait 30,2 milliards de m3 (31 milliards de m3 sur la période 1990-2019), dont 47% imputables au secteur énergétique, 18% aux canaux, 14% à l’eau domestique, 11% à l’agriculture (irrigation et l’élevage) et 8% à l’industrie et construction.

Evolution des exploitations et des surfaces équipées d’un système d’irrigation entre 2010 et 2020 (en milliers d’hectares) (Source : France Stratégie)
Evolution des exploitations et des surfaces équipées d’un système d’irrigation entre 2010 et 2020 (en milliers d’hectares) (Source : France Stratégie)

En ce qui concerne la consommation (solde entre prélèvement et restitution au milieu) et toujours en 2020, la France consommait 4,4 milliards de m3, dont 62% imputables à l’agriculture (irrigation et élevage), 14% à l’énergie, 12% à l’eau domestique, 9% à l’industrie et construction, 1% aux canaux, 1% aux loisirs etc.

Les chiffres de consommation ne prennent pas en compte le phénomène d’évaporation dans les retenues artificielles, un des arguments développés par les opposants aux réserves de substitution. L’étude France Stratégie apporte sur ce point un éclairage, comblant une lacune pointée par le Varenne de l’eau agricole et du changement climatique. Celui-ci a débouché sur la mise en place, par l’IGEED (*) et le CNES (**), d’un suivi satellitaire des principaux plans d’eau, renseignant sur les surfaces, les volumes, le taux de remplissage et les principales utilisations, sans toutefois être en mesure d’identifier les usages dominants.

Résultats ? Les 670.000 retenues et réserves artificielles stockant 18 milliards de m3 génèrent l’évaporation d’1 milliard de m3, équivalent à 18,5% de la consommation annuelle. « Des estimations à l’échelle des plans d’eau restent nécessaires pour améliorer cette première estimation », précise l’étude, qui pointe des surplus d’évaporation dans certaines régions, comme dans l’est du bassin parisien (grands lacs de la Seine en amont de Paris), dans le centre de la France (nombreuses retenues de petites tailles), ou dans les Alpes (lacs de barrage).

Surfaces irriguées par culture en 2020 (en milliers d’hectares) (Source : France Stratégie)
Surfaces irriguées par culture en 2020 (en milliers d’hectares) (Source : France Stratégie)

L’étude ne dit rien en revanche de l’envasement, un phénomène tout sauf anodin. En février 2023, à l’occasion d’une conférence de presse, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau avait estimé qu’un surplus de 30% d’eau serait mobilisable sans construire aucun ouvrage, simplement en curant les retenues existantes afin de restaurer leur capacités originelles.

30% à l’export, 30% pour l’alimentation animale, 30% pour l’alimentation humaine

L’étude apporte un autre éclairage, relatif aux surfaces irriguées et volumes d’eau consacrés à des productions exportées. Résultats ? Les surfaces irriguées le sont d’abord pour des produits exportés, à usage d’alimentation animale ou humaine et à hauteur de 34%. Viennent ensuite la production d’aliments pour les animaux (28%) puis celle pour les humains (26 %). En volume, la répartition s’équilibre autour de 30% pour les trois catégories. Indépendamment de la destination des productions, l’étude indique que les volumes prélevés servent majoritairement l’alimentation humaine (44%), devant l’alimentation animale (39%), les biocarburants (6%) et la chimie-pharmacie-papèterie (6%).

Ressource en eau : -14% en 15 ans

Si la quantité d’eau sur Terre est constante, le changement climatique tend à modifier la répartition spatiale et temporelle des précipitations. Au cours de la période 1990-2018, en France hexagonale et en Corse, le volume annuel d’eau renouvelable s’élève à environ 210 milliards de m3. Ce volume a diminué de 14 % (-33 milliards de m3) entre la période 1990-2001 et la période 2002-20181, essentiellement du fait de la baisse des précipitations (-31 milliards de m3), et dans une moindre mesure de la diminution des apports transfrontaliers et de l’augmentation de l’évapotranspiration favorisée par des températures plus élevées.

(*) Inspection générale de l'environnement et du développement durable

(**) Centre national d’études spatiales