Droit dans ses bottes à l'Agriculture, Denormandie froisse l'aile verte

En moins d'un an, Julien Denormandie est monté au front pour réintroduire les néonicotinoïdes sur les betteraves, défendre la viande à la cantine et saluer inlassablement les agriculteurs qui "nourrissent le peuple". Le ministre de l'Agriculture fait forte impression dans la profession. Moins parmi les écologistes.

Propulsé du Logement à l'Agriculture en juillet 2020, ce proche d'Emmanuel Macron a rapidement endossé le costume de défenseur des 450.000 exploitants agricoles français, manquant rarement une occasion de rappeler qu'il est ingénieur agronome de formation. "Sa marque de fabrique, c'est qu'il fait l'unanimité parmi ceux qui ne sont pas dans une vision décroissante de l'agriculture", décrit Dominique Chargé, président de la Coopération agricole. "Avec une sacrée volonté", le ministre remet selon lui du "rationnel" dans l'approche des questions agricoles auparavant "dictées par l'émotion collective citoyenne".

Dès l'été 2020, Julien Denormandie s'est engagé en faveur d'un retour encadré des néonicotinoïdes dans les champs de betteraves à sucre, pour contrer la jaunisse menaçant la production. Son "acte fondateur" de ministre, estime Arnaud Rousseau, premier vice-président de la FNSEA. Le céréalier francilien salue le "courage" de Julien Denormandie alors qu'il n'était "pas politiquement correct" de revenir sur une interdiction portée en 2016 par Barbara Pompili, désormais ministre de la Transition écologique.

Défenseur des NBT

Le ministre s'est ainsi mis à dos les militants écologistes. D'autant qu'il se présente comme un "fervent défenseur" des nouvelles technologies permettant de modifier le génome des plantes (NBT ou "new breeding techniques"), lesquelles produisent de "nouveaux OGM" selon leurs détracteurs. Ou qu'il a qualifié en février de "honte" la décision de la municipalité EELV de Lyon de distribuer temporairement des menus sans viande dans les cantines.

Comme nombre de ses prédécesseurs rue de Varenne, Julien Denormandie se voit aussi reprocher une forme de "cogestion" avec le syndicat majoritaire. Le collectif "Pour une autre PAC" s'inquiète ainsi de ses prochains arbitrages sur la répartition des futures subventions agricoles européennes. "Il reçoit une certaine frange de la FNSEA extrêmement régulièrement, la frange la plus radicale, conservatrice, qui ne veut rien changer dans la PAC", croit savoir Mathieu Courgeau, président de ce collectif et éleveur laitier.

"Dépassionner" la question de l'eau

"Je suis déçu", résume Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. A son arrivée, "on l'avait senti ouvert, à l'écoute, là je trouve que tous ses mots sont ceux de Christiane Lambert". L'éleveur du Jura constate un certain engouement sur les réseaux sociaux : "On lit "Enfin un ministre qui nous défend", "Enfin un ministre qui nous comprend", mais il est en train de nous enfermer dans un modèle qui ne marche pas."

Les organisations s'agacent aussi du prochain lancement d'un "Varenne de l'eau et de l'adaptation au changement climatique", compétence du ministère de Barbara Pompili. Julien Denormandie entend, selon son cabinet, "reprendre la main" sur cette question de manière "pragmatique et dépassionnée". Sans avoir jamais fait mystère de son souhait de simplifier la construction de retenues d'eau destinées à l'irrigation, devenues un conflit emblématique entre agriculteurs et écologistes.

Au ministère de la Transition écologique (MTE), on indique qu'"à la fin, aucun décret ne peut être signé sans le MTE qui a la tutelle de l'eau". Julien Denormandie "est le premier à dire qu'il ne faut pas opposer agriculture et environnement, mais on dirait qu'il cherche à creuser lui-même un fossé alors que les enjeux actuels devraient nous conduire à travailler main dans la main", remarque Suzanne Dalle, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace France.

Se disant "très à l'écoute des uns et des autres", Julien Denormandie rétorque forger lui-même "la vision politique [qu'il] donne à ce ministère", qui "n'est pas du tout telle que certains cherchent à la caricaturer". "Je fais ce qui me semble être bon pour notre pays. Je me bats pour avoir une agriculture forte", ajoute-t-il auprès de l'AFP, affirmant vouloir "sortir des postures, remettre de la raison et de la science dans tous ces débats".

"Il faut parfois accepter que les transitions prennent du temps, parce que la nature c'est complexe, parce qu'il n'y a pas de solution manichéenne, blanc ou noir, bien ou pas", insiste-t-il.