Eau et climat : gare aux mirages

[Edito] Les injonctions appelant à un « changement de modèle » sont un peu courtes pour appréhender des phénomènes climatiques dont la fulgurance surprend même les experts du Giec. Reste à savoir si le Varenne de l’eau, dans les tuyaux, sera calibré pour relever les défis.

L’irrigation, les « méga-bassines », la monoculture, les milliers de litres nécessaires à la production d’un kilo de viande de bœuf, les exportations agroalimentaires... :  la sécheresse exceptionnelle de cet été fait pousser les inepties, poncifs et surenchères démagogiques avec une efficience digne d’un goutte-à-goutte. A telle enseigne que la profession a dû proférer du : « il faut de l’eau pour produire du lait, des céréales, des fruits, des légumes et donc pour nourrir nos concitoyens ». La sylviculture en a pris aussi pour son grade. On n’est pas allé jusqu’à entendre qu’il faudrait replanter les massifs incendiés avec des essences non combustibles mais on n’en était pas loin.

Nous mangeons l’eau plus que nous la buvons

Et oui, nous mangeons l’eau plus que nous la buvons et c’est pour cette raison que l’agriculture absorbe 45% de l’eau consommée en France, avant d’en relarguer une bonne partie dans l’atmosphère sous l’effet de l’évapotranspiration, et le reste de finir dans nos estomacs. Non, l’agriculture française n’est pas biberonnée aux canons à eau et aux rampes d’irrigation : c’est une agriculture pluviale à plus de 90%. La première monoculture de France, ce n’est pas le maïs mais la prairie permanente. Et non il ne faut pas, en France, des milliers de litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf mais entre 20 et 50 litres selon l’INRAE, du fait justement de la prééminence des prairies. Notre premier excédent agroalimentaire, et de très loin, ce sont les vins et spiritueux AOP pour lesquels l’irrigation est très circonscrite pour ne pas dire interdite. En revanche, nous importons par camions des montagnes d’eau sous la forme de fruits et légumes dont nous sommes très largement dépendants, par défaut de compétitivité, voire de main d’œuvre. En témoigne ce producteur de mirabelles de Lorraine, qui aurait eu toutes les peines du monde à récolter tous ses fruits si le gel n’avait pas décimé la moitié de sa récolte 2022, non assurée.

Dans les tuyaux, le Varenne de l’eau

Alors oui, les systèmes de production vont devoir être modifiés pour s’adapter à des phénomènes dont la fulgurance surprend même les experts du Giec, qui s’interrogent sur la pertinence de leurs modèles de prévision. Le Varenne de l’eau agricole, tout frais émoulé, est-il calibré pour relever les défis ? La profession y croit, tout du moins la FNSEA car la Confédération paysanne estime que le Varenne élude le vrai sujet, à savoir le « modèle de l’agriculture industrielle », symbolisé, entre autres, par les « méga-bassines », synonymes de « pratiques toujours surconsommatrices et dévastatrices (...) accélérant le problème au lieu de la résoudre », comme l’a déclaré récemment son porte-parole Nicolas Girod dans le quotidien Le Monde.

Dans un rapport publié en 2020, intitulé « Changement climatique, eau, agriculture : quelles trajectoires d’ici 2050 ? », le CGAAER (Agriculture) et le CGEDD (Transition écologique) soulignaient que si l’irrigation dite « de résilience », est un levier d’adaptation au changement climatique, elle est reléguée au troisième plan derrière la redéfinition des assolements et la gestion des sols, considérés comme les premiers réservoirs de rétention de l’eau. En outre, « la rentabilisation des coûts d’investissement, maintenance et exploitation mobilisés par la création de retenues de substitution ou des autres modes de renforcement de la ressource n’apparait pas compatible avec les revenus dégagés par l’agriculture. Sauf dans un scénario de forte hausse des prix des productions agricoles ». Le rapport date de juillet 2020.