Irrigants de France : «Le Varenne de l’eau n’est absolument pas obsolète»

Pour son président Eric Frétillère, les conclusions du Varenne de l’eau agricole et du changement climatique répondent aux enjeux soulevés par la sécheresse 2022. Les mois à venir vont entériner plusieurs passages aux actes, avec en point d’orgue la réforme de l’assurance récolte en janvier 2023.

Question : la sécheresse exceptionnelle qui s’abat cet été sur la France fait-elle office de crash-test pour le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, conclu le 1er février dernier par Jean Castex, alors Premier ministre ? « Le Varenne agricole de l’eau n’est absolument pas obsolète, il ne fait que commencer », assure Eric Frétillère, président des Irrigants de France. Le fait est que les conclusions du Varenne sur ses trois thématiques phares n’ont pas encore fait l’objet d’actes tonitruants. « Le changement climatique est pour l’agriculture une révolution du même que celle qui a prévalu au sortir de la seconde guerre mondiale quand il a fallu relancer la production, poursuit Eric Frétillère. On ne change pas un modèle d’un claquement de doigts. Pour autant, le changement est en marche ».

La gestion de la ressource en eau

Pour mémoire, le Varenne explorait trois leviers d’adaptation et de résilience que sont la mobilisation, la gestion et le partage de la ressource en eau, les plans d’adaptation par filière et par territoire et enfin les outils de gestion des risques. La gestion de la ressource est du ressort des Projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) dont l’origine remonte à 2017. Les PTGE « visent à faire respecter la gestion quantitative, qualitative, équilibrée et collective de la ressource en eau disponible sur un bassin versant, par tous les acteurs et pour tous les usages (alimentation en eau potable, assainissement, industrie, irrigation, pêche, usages récréatifs...), dans le respect des milieux aquatiques, en s’adaptant à l’évolution des conditions climatiques, tout en visant à accroitre la valeur ajoutée du territoire ».

Les PTGE sont donc censés faire émerger des projets cochant toutes les cases de la durabilité, dans une démarche de co-construction avec l’ensemble des parties prenantes, prévenant les risques de conflits et de recours. La réalité est un peu différente puisqu’une quinzaine de PTGE sont actuellement en situation de blocage. Pour les déjouer, le Varenne a acté le renforcement du pouvoir des préfets et la fixation d’un date butoir à la concertation au sein de chaque PTGE.

Eric Frétillère, président des Irrigants de France : « Le stockage hivernal des eaux excédentaires obéit à une logique absolue et il n’est en rien au service de quelque lobby comme je l’entends mais de notre souveraineté alimentaire » (Source : Irrigants de France)
Eric Frétillère, président des Irrigants de France : « Le stockage hivernal des eaux excédentaires obéit à une logique absolue et il n’est en rien au service de quelque lobby comme je l’entends mais de notre souveraineté alimentaire » (Source : Irrigants de France)

Promise pour juin par la Première ministre Elizabeth Borne, la nouvelle instruction technique se fait encore attendre. En revanche, le décret relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux a été publié le 30 juillet dernier. Sous l’égide du préfet coordinateur de bassin, il ouvre la voie à « des stratégies d'évaluation des volumes qui pourraient être hydrologiquement rendus disponibles aux usages anthropiques en période de hautes eaux dans le respect des équilibres naturels et du Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ». « Les prévisions du GIEC évoquent des volumes pluviaux constants mais une répartition différente dans le temps, indique le président des Irrigants de France. Le stockage hivernal des eaux excédentaires obéit à une logique absolue et il n’est en rien au service de quelque lobby comme je l’entends mais de notre souveraineté alimentaire. L’Etat et l’Europe devront dégager les moyens en conséquence ».

Les plans d’adaptation par filière et par territoire

Un autre volet du Varenne concerne l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Toutes les filières agricoles doivent, d’ici à la fin de cette année, élaborer leur feuille de route pour les années à venir, La filière vin a déjà finalisé la sienne. De leur côté, les Chambres ont établi des diagnostics territoriaux décryptant les impacts du changement climatique pour l’ensemble des systèmes de production. D’ici à la fin de l’année, les Chambres se sont engagées à élaborer des plans d’action pour tous les agriculteurs et pour toutes les filières, en lien avec tous les opérateurs économiques des territoires. « L’objectif des Chambres est de doter chaque exploitation d’un plan de transition individualisé, expliquait au sortir du Varenne Olivier Dauger, président de la Chambre régionale d’agriculture de Hauts-de-France. Cette approche transverse doit nous permettre de relever le défi climatique tout en progressant sur la biodiversité et la neutralité carbone ».

La réforme de l’assurance récolte

La réforme de l’assurance récolte constitue le troisième et dernier étage de la fusée du Varenne. Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2023 et s’appliquera à toutes les productions sans exception. Elle entérine une nouvelle articulation entre auto-assurance (pratiques agronomiques, épargne...) relevant de la responsabilité de l’exploitant pour des niveaux de pertes compris entre zéro et le taux de franchise. Au-delà, c’est l’assurance multirisque climatique (MRC) qui prendra le relais, jusqu’à un niveau de seuil de pertes dit exceptionnel. Le franchissement de ce seuil déclenchera le mécanisme de solidarité nationale, qui se substituera au régime actuel des calamités agricoles. Les agriculteurs n’ayant pas souscrit une MRC se verront appliquer une décote de 50% des aides versées au titre des pertes exceptionnelles.

"La survie de nos exploitations et de notre agriculture se joue aussi sur l’adoption en masse de la nouvelle assurance récolte"

Les seuils de déclenchement de la MRC comme de la solidarité nationale, qui relèveront d’ordonnances, n’ont pas encore été arbitrés. L’assurance récolte est censée être financièrement accessible et ne laisser aucune production et aucun producteur en bord de chemin, l’Etat ayant par ailleurs pris des garanties pour que les assureurs n’opèrent un tri entre les assurés et les risques. « La survie de nos exploitations et de notre agriculture se joue aussi sur l’adoption en masse de la nouvelle assurance récolte », prévient Eric Frétillère.