Elevage et société : tout remettre à plat... ou presque

Face à la remise en question de l’élevage, porteuse d’une menace existentielle, un rapport du CGAAER prône l’organisation d’un débat inclusif visant à élaborer une vision commune à l’horizon 2050, en mobilisant les sciences sociales et en invitant la profession à dépasser les « blocages ». Tout en prévenant : l’élevage « parfait » n’existe pas et les compromis à négocier seront « délicats ».

« Le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire  doit mettre en place les conditions de la co-construction d’une vision commune à l’horizon 2050 pour un élevage français durable, consensuel et intégré dans une perspective européenne, qui légitimise le métier d’éleveur et rassure le consommateur » : telle est la recommandation du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), tirée d’un rapport consacré aux perspectives d’avenir des relations entre le monde de l’élevage et la société, commandité par le ministère de l’Agriculture.

La contestation de l’élevage n’est pas nouvelle : le rapport cite Pythagore qui dénonçait en son temps, soit cinq siècles avant JC, le fait de tuer des animaux pour les manger. Cependant, au tournant du XXIème siècle, le rapport homme-animal est entré dans une nouvelle phase, marquée notamment par l’affirmation progressive de la condition animale et la contestation de la place de la viande dans la consommation alimentaire, le tout sur fond d’impacts environnementaux et climatiques de plus en plus prégnants et d'interrogations nouvelles sur la santé, animale et humaine. Au détour, le rapport pointe « des actions, parfois violentes, menées par des individus ou des associations », visant des éleveurs.

Résultat : la pérennité́ de l’élevage est « menacée », indique la mission du CGAAER, sous l’effet d’une pression concurrentielle croissante, d’exigences sanitaires constantes, des nécessités de protéger l’environnement, de la menace des produits de substitution et des mouvements de défiance. « L’élevage est pourtant une des activités les plus structurantes des territoires ruraux de l’Union européenne où il joue un rôle économique, environnemental, territorial et culturel et de premier plan ».

Les quatre registres de la controverse et leurs sous-registres (Source : CGAAER)
Les quatre registres de la controverse et leurs sous-registres (Source : CGAAER)

Face aux critiques et controverses et à « l’absence de vision à moyen terme », le rapport prône l’instauration d’un débat « inclusif », associant tous les acteurs, intégrant les aspects économiques, sociaux, environnementaux et climatiques, éthiques, sanitaires devraient être pris en compte, sans oublier la recherche de souveraineté. Le débat, qui pourrait être porté par la Commission nationale du débat public, déboucherait sur un plan d’action sous l’égide du ministère de l’Agriculture « Forte d’une vision nationale partagée et apaisée de son élevage, la France pourrait jouer un rôle majeur au niveau international dans le cadre des discussions sur la transition vers des systèmes alimentaires plus durables ».

Les pré-requis du débat...

Le CGAAER pose plusieurs conditions préalables à l’organisation du débat, à commencer par la clarification par les sciences, y compris humaines, des termes du débat et qui pourrait être confiée à un comité scientifique multidisciplinaire et transverse. « La recherche doit être fortement soutenue dans tous les domaines techniques, socio-économiques et des sciences humaines sur les quatre registres de la controverse ». Le CGAAER encourage par ailleurs les éleveurs à se préparer au débat et à élaborer des messages communs accessibles au public. « Les professionnels de l’élevage ne disposent toujours pas d’un socle minimum de positions communes car la variabilité d’atouts et d’enjeux entre elles ne facilite pas l’élaboration de messages communs. Il semble pourtant essentiel et urgent pour l’avenir de l’élevage que la profession dépasse ces blocages et travaille à l’élaboration de messages accessibles au public ». Le CGAAER pointe aussi la nécessité d’améliorer le niveau de connaissance des parties prenantes du débat. « La méconnaissance des contraintes, des enjeux et des données techniques et scientifiques de l’élevage nourrit l’inquiétude des citoyens-consommateurs. De même, l’incompréhension de certaines demandes de la société complique le travail des éleveurs qui ont le sentiment de n’en faire jamais assez ».

... et les limites de l'exercice

Les initiatives sont pourtant nombreuses, reconnait le CGAAER, citant les chartes de production, les guides de bonnes pratiques, les démarches qualité et autres audits d’élevages, mais elles sont « mal reconnues et pas assez coordonnées ».

"Il y a donc des limites, et des risques certains, à vouloir répondre sans limites à toutes les demandes sociétales en économie mondialisée"

Si le CGAAER propose un mode opératoire, il ne garantit pas le résultat final. « Réconcilier la partie de la société française actuellement en désaccord avec certains systèmes d’élevage, ou l’élevage dans son ensemble, supposera la réalisation de compromis délicats pour mettre en place des trajectoires équilibrées et progressives pour chaque système et terre d’élevage (...) Le sujet est complexe et la société dans son ensemble mal informée et divisée. Il y a donc des limites, et des risques certains, notamment de mise à mal de certaines filières, à vouloir répondre sans limites à toutes les demandes sociétales en économie mondialisée ». Pour le CGAAER, « il convient de retrouver le sens de l’élevage, de penser son rôle et sa place dans l’agriculture et dans chaque territoire, de revaloriser la nourriture carnée en promouvant une consommation modérée de produits carnés peu ou pas transformés au sein d’un régime équilibré et d’accepter la notion de complexité inhérente au vivant (...) Il apparaît rapidement que l’élevage « parfait », celui qui donnerait « satisfaction » sur tous les aspects, n’existe pas ».