Elevage et consommation de viande bovine : le réquisitoire et les recommandations de la FNH

La Fondation pour la nature et l’homme (FNH) estime que l’élevage bovin est dans une double impasse environnementale et socio-économique. La durabilité passerait par une réforme de la gouvernance des politiques publiques ciblant tous les maillons de la chaine, dont la distribution, la restauration hors domicile et les industries agroalimentaires, avec l’agroécologie pour fil conducteur et une finalité : « manger moins et mieux » de viande.

C’est un sévère réquisitoire que dresse la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) dans un rapport publié à la mi-juillet, pas tant à l’adresse des éleveurs bovins que des pouvoirs publics, dont les politiques censées orienter la consommation de viande vers le « moins et/ou mieux » de viande s’avèrent complètement contre-productives. Avec la contribution du Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif (Basic), la FNH s’est livrée à l’examen des 21 politiques publiques agricoles et alimentaires entourant l’élevage bovin depuis 20 ans. Le constat est sans appel. « L’évaluation montre clairement qu’elles ne sont pas en capacité d’infléchir la trajectoire « business as usual » et de promouvoir une trajectoire « agroécologique », tranche l’association. Par trajectoire « business as usual », la FNH désigne trois grandes tendances structurelles à l'œuvre depuis 50 ans, à savoir l’agrandissement-concentration des exploitations, la spécialisation des territoires et des exploitations et l’intensification des pratiques agricoles et d’élevage. « Ce schéma s’est progressivement imposé pour beaucoup d’agriculteurs comme la seule issue pour faire des économies d’échelle et essayer de dégager un revenu. Mais elle alimente l’impasse socio-économique et environnementale ».

Impasse socio-économique

Selon la FNH, la capacité des éleveurs à dégager un résultat, et donc un revenu, s’est fortement dégradée entre 2000 et 2020. Pour l’élevage bovin lait, il faut 39% de consommations intermédiaires, 25% de capital et 5% d’hectares en plus pour générer au final le même revenu. Pour l’élevage bovin viande, les résultats sont plus inquiétants encore : il faut 44% de consommations intermédiaires, 25% de capital et 17% d’hectares en plus pour produire le même revenu en 2020 par rapport à 2000. Le rapport mentionne l’Observatoire de l'endettement et des trésoreries des élevages bovins lait et viande, de l’Institut de l’élevage, dont le bilan 2021 indique que « 42% des exploitations d’élevages laitiers et 29% des exploitations d’élevages allaitants sont en situation critique ».

Se référant l’Observatoire technico-économique 2022 des systèmes bovins laitiers du Réseau Civam, le rapport mentionne en contrepoint l’efficacité́ économique des fermes laitières en agroécologie, et plus particulièrement en agriculture biologique, respectivement de 60% à 99% supérieure à celle des fermes du Rica. Le rapport pointe également « une amplification des dynamiques de dégradation sociale » sur la période 2000-2020, qui se matérialise par la dévitalisation des territoires ruraux, le sentiment d’isolement au sein de la population agricole, la perte du nombre d’actifs agricoles ou encore les 55 heures de travail hebdomadaires de travail, 49% supérieures à l'ensemble des personnes en emploi, en dépit d’une augmentation de 10% de la productivité du travail. La transmissibilité des élevages est aussi questionnée.

Impasse environnementale

Tout en relevant que la part d’herbe reste significative dans la ration moyenne des bovins (78% pour les bovins viande et 49% pour les bovins lait et bovin mixte) et que l’autonomie protéique est forte en bovins viande (86%) et importante en bovin lait (70%), la FNH estime que la trajectoire « business as usual » impacte la biodiversité (recul des prairies permanentes, des haies, des infrastructure agroécologiques, importation de soja déforestant...), la qualité des sols et de l’eau, le bien-être animal (manque d’accès à l’extérieur, faible durée de vie des animaux...) et enfin le climat via les émissions de GES.

Sur ce point, le rapport mentionne la réduction des émissions de méthane des systèmes laitiers et allaitants de respectivement de 18,1% et de 9% entre 1990 et 2020, quand les effectifs respectifs baissaient de 36% et de 11%, l’écart entre les deux paramètres étant le fait de « l’intensification des pratiques ». « La baisse du nombre d’animaux ne peut pas être compensée indéfiniment par une hausse du volume de production par vache, poursuivre la baisse d’émissions par litre ou kilo produit ne peut fonctionner indéfiniment pour des raisons physiques », relève la FNH qui estime par ailleurs que la réduction des émissions des vaches (9% des émissions nationales de GES) grâce à leur alimentation (lin, algues, additifs) et/ou grâce à la génétique,  pourrait permettre de réduire de 15 à 20% maximum les émissions de méthane du secteur, « à condition d’être appliquée à toutes les vaches  ».

Capacité de l’élevage agroécologique à infléchir les impacts des trois tendances de concentration- agrandissement, spécialisation et intensification des élevages bovins français (Source : FNH)
Capacité de l’élevage agroécologique à infléchir les impacts des trois tendances de concentration- agrandissement, spécialisation et intensification des élevages bovins français (Source : FNH)

Les recommandations de la FNH

Si les politiques publiques ont, selon la FNH, largement failli, l’Etat aurait la possibilité d’inverser le cours de l’histoire à la veille de multiples échéances législatives, avec notamment le Pacte et la loi d’orientation agricole (PLOA), la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat, le Projet de Loi de Finances ou encore la nouvelle version de la Stratégie nationale bas carbone, sans oublier une éventuelle révision à mi-parcours du Plan stratégique national, autrement dit la Pac. Pour « garantir un avenir à l’élevage bovin français », l’association recommande l’adoption d’une gouvernance interministérielle de la transition agroécologique et alimentaire. Objectifs : stopper le mouvement agrandissement-concentration-spécialisation-intensification et restructurer les élevages difficiles à transmettre en refondant les enveloppes financières existantes, tout en régulant les volumes, les prix, et le partage de la valeur au sein des filières ainsi que les échanges commerciaux « pour réduire la concurrence internationale déloyale que subissent les éleveurs bovins ».

Agir sur « l’environnement alimentaire »

La FNH appelle par ailleurs à agir sur l’environnement alimentaire, c’est à dire sur l’offre de la distribution, de la restauration hors domicile et des industries agroalimentaires, afin d’inciter à consommer moins et mieux de produits animaux et plus de végétaux.

Selon la FNH, la grande distribution, qui représente 70% des achats alimentaires, incite à la surconsommation de viande et de produits laitiers via leur offre alimentaire (92 % des plats préparés contiennent de la viande ou du poisson), leurs politiques de marketing, de marge et de promotion. Elle propose en outre en immense majorité des produits animaux issus de modes de productions intensifs et non-durables (moins de 10 % du poulet et du steak haché proposés en rayon sont bio). La restauration hors domicile et les industries agroalimentaires sont aussi pointées du doigt, accusées d’offrir « une quantité importante de produits de faible qualité, peu durables, et souvent importés (...) Les importations massives et croissantes de produits laitiers et de viande bovine transformés du fait de la libéralisation des échanges pose la question de la capacité de la France à approvisionner ses consommateurs avec ses propres productions bovines si les niveaux et types de consommation n’évoluent pas ». Pour la FNH, la souveraineté alimentaire en matière de viande bovine passera par une baisse de la consommation et non par une fuite en avant de la production, assortie d'un virage à 180° de la durabilité.