Abattage et étourdissement : à l’UE de trancher

[Edito] A l’occasion de la refonte de la législation sur le bien-être animal, l’Union européenne a l’opportunité de rendre obligatoire l’étourdissement, réversible ou effectué immédiatement après la saignée, compatible avec les rites halal et casher. La France esquive le débat.

Dans le cadre de la stratégie Farm to Fork, l’Union européenne s’apprête à réviser ses différents textes législatifs entourant à la protection des animaux d’élevage. La refonte concerne les conditions de détention en élevage, les conditions de transport, la protection des animaux au moment de leur mise à mort, ainsi que les modalités d’étiquetage des produits animaux. S’agissant de l’abattage, dans l’état actuel du règlement (n°1099/2009), le principe général est l’étourdissement préalable. « Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement. L’animal est maintenu dans un état d’inconscience et d’insensibilité jusqu’à sa mort ». Par respect pour les pratiques cultuelles juive et musulmane, le règlement permet aux Etats membres de déroger à l’étourdissement.

Depuis une vingtaine d’années, les institutions vétérinaires, française et européenne, ainsi que plusieurs rapports scientifiques, dont l’un émanant de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), ont établi le fait que l’abattage sans étourdissement entraîne de plus grandes souffrances chez les animaux, principalement les bovins, en raison d’une perte de conscience retardée. Sans étourdissement, la perte de conscience peut intervenir après une dizaine de secondes pour les moutons mais jusqu’à une dizaine de minutes pour les bovins.

Etourdir n’est pas tuer

Dans un avis publié en octobre 2019, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) recommandait d’harmoniser l’application de la règlementation européenne entre les Etats membres, en rendant obligatoire l’étourdissement, réversible ou effectué immédiatement après le geste rituel, pour concilier les rites religieux et la réduction de la souffrance au moment de la mise à mort. De son côté, l’association OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs) rappelle que c’est bien la saignée qui tue l'animal, conformément aux préceptes religieux, et non pas l'étourdissement. « La confusion entretenue entre « animal inconscient » et « animal mort » enlise le débat », déplore l’OABA.

Ce n’est pas le cas partout dans le monde. L'étourdissement est accepté dans certains pays majoritairement musulmans, comme l'Indonésie ou la Jordanie, selon le CESE. Des pays du Golfe, comme l’Arabie Saoudite, importent d’Australie et de Nouvelle-Zélande des viandes issues d’animaux étourdis préalablement et certifiées halal, selon l’OABA. Comme le CESE, l’OABA réclame l’insensibilisation de tous les animaux lors de leur abattage, par étourdissement réversible avant la jugulation si la technique est disponible, par soulagement le plus rapidement après la jugulation dans le cas contraire. Au sein de l’UE, six pays proscrivent l’abattage sans étourdissement et cinq autres l’imposent immédiatement après l’abattage. En France, malgré la dérogation, des abattoirs bannissent l’abattage sans étourdissement.

La France esquive le débat

Une chose est à peu près sûre : il ne faudra pas compter sur la voix de la France pour peser sur l’évolution du règlement européen sur l’abattage. Au grand dam des ONG welfaristes, le sujet a été écarté de la concertation initiée par le ministère de l’Agriculture au printemps dernier en vue de la révision des textes européens. La France avait pourtant été pionnière dans ce domaine, en imposant l’étourdissement (avec dérogation rituelle) dès1964, soit avec dix ans d’avance sur l’ex-CEE. Selon le CESE, notre pays est celui qui pratique le plus la dérogation, devant les Pays-Bas et la Hongrie. En 2016, 15 % des bovins et 27 % des ovins étaient abattus de manière rituelle, selon le ministère de l’Agriculture. L’abstention de la France, à ce stade, est d’autant plus étonnante que l’étourdissement n’engendre aucun surcoût, un argument souvent mis en avant par les filières pour réfréner la mise en œuvre de pratiques plus éthiques. Et que l’on peut entendre sans peine : confrontés à la problématique de la répartition des marges sur le marché national et exposés à des distorsions de concurrence intra et extra-européenne, les éleveurs connaissent des difficultés économiques dans la plupart des filières, sur fond de perte d’attractivité de leur métier insuffisamment rémunéré eu égard à la charge de travail, de contraintes administratives pléthoriques, de faible reconnaissance des services rendus par l’élevage, de focalisation sur les impacts environnementaux... sans oublier les interrogations sociétales sur le sort réservé aux animaux de rente.

L'exception des viandes bio

L’obligation d’étourdissement aurait un autre avantage : elle éviterait aux consommateurs d’acheter de la viande issue d’animaux n’ayant pas été étourdis, sans en être spécifiquement informés. En effet, pour des raisons d’intérêts économiques liées au fonctionnement de certains abattoirs, les abattages rituels peuvent excéder la demande réelle de de viande halal et casher. Et la viande issue d’animaux tués selon un rituel religieux peut être vendue dans le circuit standard sans que cela soit mentionné sur les emballages. À partir du moment où l’abattage rituel de l’animal peut être justifié par la commande ou la vente d’une partie de la carcasse (carcasse, demi-carcasse, quartier ou abats) sur le marché rituel, l’utilisation du reste de la carcasse est autorisée dans le circuit conventionnel. De même, les carcasses abattues sans étourdissement mais non acceptées lors de l’examen rituel peuvent être destinées au marché conventionnel. Les chiffres font cruellement défaut pour quantifier les tonnages concernés. L’OABA n’hésite pas à parler de « tromperie » des consommateurs, interdits qu’ils sont de choisir leurs viandes selon leurs convictions personnelles. Il existe une parade : l’achat de viande bio. Depuis 2019, suite à une procédure lancée par l’OABA, le label AB ne peut pas être attribué à des viandes issues d’abattage sans étourdissement, au motif des souffrances infligées. Une décision de la Cour de justice... de l’Union européenne.