[Chronique internationale] « Le Brexit nous semble soudain un problème bien mineur »

Comment la crise du coronavirus impacte-t-elle les agriculteurs aux quatre coins du globe ? Chaque semaine, retrouvez le témoignage à l’international d’agriculteurs membres du réseau Nuffield. Ils et elles racontent les mesures mises en place dans leur pays et les adaptations faites sur leurs exploitations. Cette semaine, nous retrouvons Neil et Debbie McGowan, éleveurs de bovins et d'ovins allaitants près des Highlands écossais.

Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Nous sommes Neil et Debbie McGowan d'Incheoch - une ferme d'élevage de montagne située en bordure sud du parc national de Cairngorms - juste au bord des Highlands écossais. Du haut de notre colline, nous pouvons à la fois voir des terres agricoles fertiles mais aussi des surfaces sans aucune production agricole - avec des cerfs sauvages, des "grouses" (oiseau emblématique d'Écosse), des forêts et une station de ski.

Notre ferme familiale est spécialisée dans la production de reproducteurs fonctionnels, efficaces et robustes à destination d'autres agriculteurs, et pour ce faire, nous exploitons un peu plus de 200 vaches allaitantes reproductrices et 1200 brebis. Certains veaux et la plupart des agneaux sont vendus à destination de la boucherie.

Quelles sont les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement dans votre pays pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ?

Le gouvernement écossais a suivi de très près la réglementation du Royaume-Uni concernant le Covid-19. Les deux sports populaires ici sont le rugby et le ski. Cet hiver ayant été doux et humide, bon nombre de locaux sont allés skier dans les Alpes, l'une des raisons pour lesquelles nous avons suivi avec un intérêt particulier l'évolution de la situation en Italie. Nous avons apprécié l'avancée de l'Ecosse dans le tournoi des 6 Nations, mais nous étions inquiets d'apprendre davantage sur le virus parce que beaucoup de supporters ont fait le déplacement à Rome pour encourager leur équipe. Heureusement, nos amis qui avaient prévu d'assister au match contre le Pays de Galles du 14 mars (annulé à la dernière minute) n'y sont pas allés.

Cela a marqué le début du confinement graduel qui a été mis en place depuis pour en arriver aujourd'hui à devoir rester à la maison sauf pour les achats essentiels, une heure dehors maximum par jour pour l'exercice physique (en respectant la distanciation sociale), et pas de rassemblement de plus de 2 personnes sauf pour ceux d'un même foyer.

De quelle manière cette situation impacte les agriculteurs ?

Outre les secteurs essentiels (incluant la production alimentaire), il est conseillé de travailler depuis la maison quand c'est possible. Bon nombre d'employés ont été mis en congés , c'est en dire en licenciement temporaire, le gouvernement payant 80% de leurs salaires. Le secteur hôtelier a particulièrement été touché. Heureusement ces personnes ont été autorisées à cumuler leurs indemnités de chômage avec des emplois à temps partiels dans les secteurs "essentiels". Localement, certains se sont lancés dans les saisons d'agnelages sur les fermes, et nous espérons par ce biais pallier le manque de travailleurs étrangers nécessaires pour les récoltes à venir de fruits et légumes.

Les écoles et les universités sont fermées. Nos deux enfants sont au collège et les examens de Tally ont été annulés. Le contrôle continu et les examens blancs seront utilisés pour l'obtention de leurs examens. Du travail continue à leur être donné via Internet par les enseignants, mais sans pression pour l'accomplir, car c'est la période des vacances de Pâques. La ferme bénéficie de leur aide supplémentaire. Nous sommes très heureux d'avoir leur compagnie et fiers de leurs efforts pour nous aider. Peut-être que ce qu'ils apprennent en nous aidant dans cette période est aussi important que ce qu'ils auraient appris à l'école :  apprendre à conduire, reculer avec une remorque, la conscience professionnelle, préparer les repas, l'élevage des animaux, prendre le temps d'apprécier l'environnement qui nous entoure. La plupart de nos voisins agriculteurs reçoivent un coup de main de cette manière, au sein de leurs familles ou de leurs proches.

Nous avons eu deux visites du vétérinaire dernièrement, l'une en lien avec un problème de fertilité sur une vache et l'autre pour un problème de bien-être animal. Les vétérinaires ont vécu un changement important dans leur manière de travailler, contraints par la crise mais qui, d'après eux, aura un impact positif en améliorant leurs pratiques à l'avenir.

Quels changements avez-vous mis en œuvre sur votre exploitation pour vous adapter à ce contexte ?

Nous nous sentons extrêmement chanceux de vivre dans une zone rurale plutôt isolée. Nos déplacements en ville ont été réduits à un par semaine pour la livraison de la viande et des œufs de la ferme auprès d'une plateforme alimentaire locale (marché en ligne), nous y achetons en retour des fruits et du lait, et en profitons pour faire le plein de carburant à la voiture.

Les gîtes ont été fermés, mais nous accueillerons (en respectant les distances de sécurité), deux personnes qui ont un contrat pour ériger des serres en plastique dans une ferme fruitière à proximité et qui cherchaient un logement isolé. Le logement faisant partie de l'exploitation agricole, il n'aura droit à aucune aide gouvernementale pour les entreprises qui ont été contraintes de fermer.

La plateforme alimentaire locale a été lancée voilà tout juste un an. Debbie y vendait jusqu'alors autour de dix douzaines d'œufs et quelques colis de viande de bœuf ou d'agneau, pour un total de £50/semaine (ndlr : soit un peu moins de 60€) en moyenne. Depuis le début du confinement, les commandes ont augmenté à £230, £250 et puis à £500 par semaine, soit multipliées par dix. Debby a dû limiter les commandes à cinquante douzaines d'œufs pour ne pas être en rupture. Angus, notre fils, possède lui-même quelques poules de race écossaise, des Scots Dumpy. Il s'est fait pas mal d'argent de poche en vendant les poussins de sa poule couveuse.

C'est la période de l'année où nous sommes le plus occupés - quoiqu'il en soit nous ne quittons habituellement pas beaucoup la ferme à cette époque des vêlages et agnelages - donc j'estime que nous sommes relativement peu affectés par la situation. Je pense que notre Monde sera différent une fois que nous aurons franchi cette épreuve. Les gros titres des journaux d'il y a quelques mois qui soulignaient que toute notre alimentation pouvait être importée et que la production agricole nationale était sujet à être sacrifiée dans les négociations du Brexit apparaissent un peu stupides aujourd'hui. Le Brexit nous semble soudain un problème bien mineur !

Parallèlement, je crains pour la situation financière du pays. La situation de la plupart des petites entreprises locales, services et restaurants dont nous dépendons est préoccupante. Je suis soulagé que nous ne dépendions pas de la main d'œuvre étrangère pour la saison de récoltes des fruits et les légumes.

Je suis convaincu que les relations que nous développons avec la population locale pendant cette période sont forgées dans de l'acier et seront robustes et durables. Je reste confiant dans le futur d'une agriculture familiale reposant sur de solides normes environnementales et de bien-être animal. Je suis fier de la façon dont nous sommes devenus une équipe solide pour faire face à cette situation à la fois en tant que famille et en tant que communauté locale.

Restez à la maison et prenez soin de vous.

Propos recueillis par courriel par Yolène Pagès et David King, membres bénévoles de l'association Nuffield France.

La bourse Nuffield comme catalyseur de changements

Neil est un lauréat 2015 de la bourse Nuffield. Son sujet était "Sélectionner pour l'efficacité - améliorer l'élevage bovin et ovin".

- Quels changements ont été induits sur la ferme depuis l'expérience de la bourse Nuffield ?

"Depuis, nous organisons une vente annuelle sur la ferme qui nous permet de vendre une centaine de béliers et de 15 à 20 taureaux reproducteurs. Nous nous sommes aussi diversifiés, avec l'aménagement de deux gîtes de vacances et un peu de vente directe de viande bovine et ovine, en supplément de la vente des œufs du poulailler de Debbie."

- Qu'est-ce qui rend ce réseau spécial ?

"Les personnes que j'ai rencontré via Nuffield, à la fois en participant à des conférences ou par des visites sur la ferme nous font réfléchir à la particularité de nos pratiques, à ce qui peut être remis en cause alors que nous l'avions toujours pris pour acquis."

  • site internet d'Incheoch farm https://www.incheochfarm.co.uk/
  • rapport de Neil Mc Gowan réalisé dans le cadre de sa bourse Nuffied Selection for efficiency: breeding better beef and sheep https://www.nuffieldinternational.org/live/Reports

La bourse Nuffield existe en France grâce à l'action de l'association Nuffield France, reconnue d'intérêt général. C'est une opportunité pour les actifs agricoles français de mener une réflexion pour améliorer leurs pratiques et de s'ouvrir au contexte international par le biais de voyages et de la pratique de la langue anglaise notamment. C'est un outil à disposition des filières et entreprises agricoles au sens large (élevage, culture, foresterie, aquaculture, ...) pour promouvoir l'émergence d'une agriculture créative, performante et responsable, sans a priori sur les modèles et solutions innovantes.

Le réseau Nuffield est en constant développement et est présent en Europe (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas), Amérique du Nord (Canada et Etats-Unis), Amérique du Sud (Brésil, Chili), Afrique (Zimbawe), Asie (Japon) et Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande).

Nos actions reposent sur le travail de nos membres bénévoles et sur les dons de nos partenaires : Confédération Nationale de l'Élevage, Crédit Agricole, Actura, Axema, Cultivar et les Chambres d'agricultures. 

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