Face au recul de l’élevage, le risque de perte de valeur des bâtiments

L'élevage recule depuis plusieurs années en France et va continuer de le faire quels que soient les scénarios d'avenir. Or, l'élevage est une activité économique qui mobilise des moyens de production, appelés actifs : des terres, des animaux, des machines et des bâtiments. Dans une étude récente, l'Institute for Climate Economics pointe le risque d'actifs échoués en élevage, essentiellement sous forme de bâtiments. L'institut encourage les politiques publiques à prendre en compte ce risque.

En science économique, un actif échoué est un moyen de production dont la valeur a chuté suite à une évolution de la législation, à des contraintes environnementales ou à des nouvelles technologies. Par exemple, dans le passé, en France, les mines de charbon ou tous les équipements liés à la téléphonie fixe ont généré des actifs échoués : les investissements réalisés dans ce domaine ont été dévalorisés.

Orienter les décideurs économiques

Actuellement, cette notion est évoquée dans le cadre de la transition énergétique : à l'échelle mondiale, les investissements liés aux énergies fossiles sont « à risque » d'être échoués à plus ou moins long terme, selon la rapidité de la décroissance de l'usage de ces énergies. Dans un rapport publié en février 2023, l'Institute for Climate Economics (I4CE) s’intéresse, pour la première fois, à l'existence de ce risque dans le secteur de l’élevage.

Contrairement à ce qu'indique son nom, l'I4CE, est un organisme de recherche français. Il a été fondé en 2015, à l’initiative de la Caisse des dépôts et de l’Agence française de développement. Il s'intéresse à tous les enjeux économiques liés à la lutte contre le changement climatique et il publie régulièrement des rapports, synthèses et recommandations, à destination des gouvernements et collectivités publiques, mais aussi des entreprises et institutions financières.

Le rapport « Transition de l’élevage : gérer les investissements passés et repenser ceux à venir » pointe le risque d'actifs échoués en élevage. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050, la réduction de l'élevage, fort contributeur net des émissions de gaz à effet de serre, est inéluctable. Quels que soient les leviers techniques envisagés (certains existent, d'autres seront à inventer), le nombre d'animaux élevés en France, en particulier des bovins, va diminuer.

Moins de bêtes, d'abord en raison de la démographie

Cette réduction des cheptels est, de toute façon, déjà engagée : le pays a perdu 17% de ses vaches laitières en 20 ans (et bien plus depuis les années 1980). Toutes les filières d'élevage sont touchées (sauf peut-être le poulet), et même le cheptel des vaches allaitantes, qui était stable depuis l'an 2000, commence à se réduire (-11% depuis 2016). A noter que toutes ces filières ont toutefois augmenté leur productivité : la réduction du nombre d'animaux élevés n'est pas forcément synonyme de diminution de la production.

Un autre facteur va agir plus rapidement dans les années à venir : la démographie des chefs d’exploitation. Selon une projection de l'Idele, on devrait perdre, d'ici 2030, 13% des effectifs de vaches laitières et 15% pour les vaches allaitantes.

Un risque critique à l'échelle individuelle

Moins d'animaux et moins de fermes implique une transformation profonde des actifs : terres, matériels et bâtiments. C'est surtout sur ces derniers que pèse la plus grande menace de ne plus être adaptés. Cela ne signifie pas nécessairement être « échoué » : il peut y avoir des reconversions, agricoles ou non. Le risque de dépréciation des bâtiments est cependant un point critique à l'échelle d'une exploitation d'élevage et d'une carrière d'éleveur. Beaucoup d'exploitants comptent sur la vente de leurs actifs pour récupérer leurs capitaux et donc améliorer leur niveau de vie à la retraite.

L'I4CE s'est essayé à une estimation des montants que pourraient représenter les actifs échoués en élevage dans les années à venir : sur une dizaine d'années, cela pourrait se chiffrer autour de 1,7 milliard d’euros en bâtiments, soit environ 170 millions par an. C'est une somme importante, certes, mais qui nécessite d'être mise en regard d'une autre : les aides publiques (grand plan investissement, France 2030, grand pacte productif) à l’investissement dans les exploitations d’élevage dépassent le milliard d’euros par an.

Efficacité de la dépense publique, visibilité des acteurs

L'institut estime que ces aides, nécessaires pour moderniser les fermes, semblent ne pas toujours disposer de critères de durabilité. « L’agriculture étant largement subventionnée par l’État, c’est un enjeu d’efficacité de la dépense publique que d’intégrer les enjeux de transition dans les investissements des exploitations françaises d’élevage... ».

« Plus qu'une simple réduction de production, il s’agit plutôt d’une transformation profonde des filières animales. Cette transformation se construit et s’anticipe. La mener à bien implique de prendre du recul afin de donner de la visibilité aux acteurs de ces filières et aux agriculteurs qui vont s’installer dans les prochaines années. » L'étude souligne aussi que ce n'est pas forcément à l'agriculteur de porter à lui seul le risque de dépréciation : « Une prise en compte par les pouvoirs publics de ces actifs à risque est importante pour que la baisse du cheptel soit soutenable par les acteurs économiques ».

L'association « Les Greniers d'abondance », qui travaille sur la résilience alimentaire des territoires, est beaucoup plus directe dans son analyse de ce rapport : pour elle, c'est à l’État, et pas aux agriculteurs, de prendre en charge ces pertes de valeurs. « Les agriculteurs sont pris dans un système, ils n'ont pas à en assumer les conséquences. Ces investissements sans lendemain par la puissance publique ne représenteraient qu'un coût modique au regard des aides actuelles. Autrement dit, un problème souvent insurmontable à l'échelle individuelle - que faire d'un poulailler hors-sol amianté de 1000 mètres carrés qui ne trouvera probablement pas d'acheteur lors de la cession de la ferme ? - peut facilement se résoudre par l'action collective », assure Felix Lallemand, le co-fondateur de l'association.

>> Pour lire le rapport de l'I4CE : https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2023/02/Transition-de-lelevage-gerer-les-investissements-passes-et-repenser-ceux-a-venir_au220223.pdf