Grippe aviaire : « Oui à des élevages clos, non à des animaux claustrés »

Alors que le ministère de l’Agriculture s’apprête à tirer les enseignements de la dernière flambée de grippe aviaire, la Confédération paysanne et le Modef défendent le modèle autarcique et invitent la filière longue à balayer dans sa cour et dans ses camions et à enrayer la sur-densité d’animaux et d’élevages.

« Je ne veux pas voir le mot claustration dans la feuille de route du ministre ». A l’occasion d’une conférence de presse organisée par la Confédération paysanne et le Modef, Sylvie Colas, porte-parole de la Conf’ dans le Gers, n’y est pas allée par quatre parcours. Installée depuis 30 ans en volailles bio et diversifiées à Lectoure (Gers), elle redoute que la claustration des élevages pendant la période à risque constitue l’alpha et l’oméga de la stratégie de lutte contre le virus de l’influenza aviaire, « alors que ce type d’élevage a aussi été contaminé », énonce l’éleveuse. Une affirmation non démentie par Luc Guérin, professeur en aviculture et médecine aviaire, sollicité le 14 janvier par le Cifog pour tenter de décrypter l’épidémie.

Les élevages de plein air ne sont pas pour autant dédouanés. « Plusieurs élevages, dont des élevages de canards sur parcours, sous dérogation alors que le niveau de risque élevé déclaré sur l’ensemble du territoire métropolitain imposait la claustration de l’ensemble des espèces sensibles au virus, ont été infectés, affirmait le 22 février Gilles Salvat, directeur général délégué recherche et références à l’Anses, également sollicité par le Cifog. Les oiseaux sauvages sont particulièrement attirés par les animaux avec des biologies d’espèces proches et donc par les canards sur parcours, a fortiori si ces parcours sont à proximité de plans d’eau ».

La guerre des modèles d’élevage

La France vient de vivre en cinq hivers sa troisième épidémie de grippe aviaire, avec un premier foyer détecté le 5 décembre 2020 dans les Landes. La forte contagiosité du virus, alliée à des conditions météorologiques froides pluvieuses, a provoqué une flambée épidémique dans le Sud-Ouest, qui a cumulé 475 foyers sur un total de 492 au plan national et engendré l’abattage de 3,5 millions de canards.

"Le virus était si virulent qu’il a été détecté jusque sur les sous-vêtements des opérateurs, sous deux ou trois tenues de sécurité "

Pour tenter de déjouer cette fatalité, le ministère de l’Agriculture a mobilisé ces derniers mois toutes les parties prenantes pour tenter de faire émerger des solutions durables. L’épisode a une nouvelle fois réveillé le conflit entre les deux modèles coexistant au sein de la filière foie gras, à savoir les élevages autarciques et les élevages spécialisés.

Les premiers élèvent des canetons du premier jour de leur vie jusqu’au gavage tandis que les seconds pratiquent davantage la segmentation, avec pour certains la production de canards prêts à gaver et pour d’autres le gavage, induisant davantage de transports et de mouvements de personnels. « Cette année, le virus était si virulent qu’il a été détecté jusque sur les sous-vêtements des opérateurs, sous deux ou trois tenues de sécurité », affirme Serge Mora, président du Modef des Landes.

« Mi-janvier, le département des Pyrénées-Atlantiques était indemne de grippe aviaire, souligne de son côté Jean-Louis Campagne, porte-parole de la Conf’ du Béarn. Les deux premiers élevages contaminés l’ont été par l’introduction de canards prêts à gaver en provenance des Landes et du Gers », affirme-t-il.

Des dérogations dévoyées ?

La Conf’ et le Modef pointent l’inadaptation des tests préalables au transport des animaux, du fait de la latence de trois à quatre jours entre la contamination potentielle et l’expression de la maladie. Ils dénoncent aussi le dévoiement par des éleveurs en bâtiment de la dérogation des 3 200 canards en extérieur accordée en 2017 aux « petits producteurs » en plein air traditionnel.

Après ce nouvel épisode, les deux organisations redoutent une mise sous cloche des élevages de plein air, ce que dément le Cifog. « L’accès au parcours extérieur reste une priorité, quel que soit le modèle de production, indique l’interprofession dans un communiqué daté du 10 mai. Affirmer le contraire serait non seulement mensonger mais surtout irresponsable pour l’avenir de toute la filière foie gras et en particulier pour les 30 000 professionnels qui en France travaillent au quotidien dans les couvoirs, les élevages, les entreprises de transformation ». Mais dans le même temps, le Cifog affirme que la « mise à l’abri de tous les palmipèdes dans les zones vulnérables pour les protéger d’une introduction du virus par les oiseaux sauvages est une nécessité impérative et temporaire ». De quoi nourrir la crainte de la Conf’ et du Modef qui redoutent que les ailes de l’élevage de plein air ne soient coupées par les décisions à venir du ministère de l’Agriculture.

"On est sans doute proche des 6000 ou 6500 tonnes de stocks, les entreprises minimisant les chiffres pour masquer leurs faiblesses"

« Ce débat se déroule sur fond de surproduction de foie gras, avec un stock de 5 000 tonnes au 30 mars déclaré par la Fédération française des Industries d'aliments conservé, affirme Christophe Mesplède, vice-président du Modef des Landes. On est sans doute plus proche des 6 000 ou 6 500 tonnes, les entreprises minimisant leurs stocks pour ne pas apparaître en position de faiblesse. En appliquant les règles de biosécurité les plus strictes, y compris sur la filière longue, des éleveurs vont se retrouver avec des règles du jeu qu’ils ne pourront pas mettre en œuvre à la rentrée, si on peut appeler ça comme ça. Sous couvert de sanitaire, la filière veut éliminer la production traditionnelle et récupérer des parts de marché pour résoudre ses problèmes ».

Les ailes coupées mais pas le bec cloué

Pour la Conf’ et le Modef, l’élevage de plein air est la solution et pas le problème. « En 1983, année de la première épidémie de grippe aviaire, on a eu trois cas en Chalosse, déclare Serge Mora. On a abattu sur place et il n’y a pas eu de propagation, alors qu’il y avait à l’époque trois fois plus d’élevages qu’aujourd’hui. Mais tous les élevages étaient en autarcie et il n’y avait pas tous ces transports d’aliment et de canards prêts à gaver. La France comptait alors 6 millions de canards dont 3 millions dans les Landes. Et puis il y a eu cette idée de génie consistant à démocratiser le foie gras et nous voilà rendus à plus de 30 millions de canards, dont 7,5 millions dans les Landes, avec des coopératives qui gagnent davantage en vendant du maïs qu’en vendant du foie gras ». On n’a pas encore cloué le bec du Modef, pas plus que celui de la Conf’.

"Avec cet épisode, on a menti aux consommateurs en accordant des dérogations aux volailles bio claustrées alors que le parcours est le b.a.-ba du cahier des charges bio"

« J’ai choisi le plein air pour être libre comme mes animaux, libre d’investir comme je veux, libre d’avoir une production bio et diversifiée, libre de produire mes aliments, libre d’abattre à ma façon grâce à mon abattoir certifié CE, déclare Sylvie Colas. Le plein air est le seul moyen d’attirer des jeunes et de contenter les consommateurs. Mais avec ce nouvel épisode de grippe aviaire, on a menti aux consommateurs en accordant des dérogations aux volailles bio claustrées alors que le parcours est le b.a.-ba du cahier des charges bio. Plutôt que de remettre en cause l’élevage de plein air, je préférerais que l’on décrète un moratoire sur le canard gras industriel, à la résilience inversement proportionnelle à ses niveaux d’endettement, et confronté à un marché en difficulté et qui n’installera aucun jeune ».

Une analyse des risques individualisée

En 2018, la Confédération paysanne avait publié un guide dédié à la biosécurité pour les petits élevages de volailles en circuits courts et en autarcie. Validé par la Direction générale de l'alimentation, il s'appuyait sur les fiches techniques de l'Itavi. En 2021, la Conf’ et le Modef publient un Pacte destiné à appréhender la durabilité de la filière à l’égard du risque de grippe aviaire. Il est notamment question de réduire le nombre d’animaux élevés et les transports, de relocaliser les outils de transformation ou encore de diversifier les fermes et les races pour rendre les animaux résistants face aux maladies.

Les deux syndicats militent notamment pour une analyse des risques individualisée. « Au sein de mon élevage, les animaux ne sortent pas de ma ferme, donc je ne présente pas de risque pour les autres, plaide Sylvie Colas. Si par malchance, l’avifaune contamine mon élevage, la grippe aviaire doit rester chez moi. La notion de claustration, nous l’appliquons déjà, pas à l’échelle des bâtiments mais à l’échelle de nos fermes. Je voudrais que le ministre l'entende ».

La réponse ne devrait pas tarder mais la partie n’est pas gagnée pour les deux organisations. En février dernier, Gilles Salvat renvoyait dos à dos les deux modèles d’élevage. « Il va falloir à l’avenir être plus rigoureux sur le respect absolu du confinement des oiseaux d’élevage pendant les périodes à risque et diminuer les densités d’animaux et d’élevage pendant ces mêmes périodes pour limiter les risques de propagation en cas d’introduction du virus dans une région de forte production », déclarait le directeur général délégué recherche et références de l’Anses.