Inrae d’Aurillac : 50 ans de recherche pour servir la cause des fromages

Implanté en 1973 à Aurillac, le laboratoire de recherches fromagères de l’Inra, devenu UMRF, s’est imposé comme une référence (inter)nationale pour accompagner les filières.

1973, début du choc pétrolier... et de l’aventure microbienne à Aurillac où l’Inra (Institut national de la recherche agronomique devenu depuis Inrae) délocalise une équipe, le laboratoire de recherches fromagères (LRF), en réponse à la demande des professionnels des filières fromagères locales. 50 ans plus tard, le laboratoire devenu Unité mixte de recherches fromagères (UMRF) et renforcé de compétences de l’université Clermont-Auvergne et de VetAgroSup,  s’est imposé comme une référence nationale et européenne en la matière, contribuant à la pérennisation des filières fromagères confrontées au fil des décennies à des enjeux majeurs.
Cette recherche au plus près des producteurs et transformateurs est alors tournée vers la qualité des produits et l’optimisation des process technologiques, par exemple en aidant coopératives et industriels à résoudre des défauts de pressage des fourmes.


Lip : un “spin-off” de l’Inra
Dans les années 80, les germes de recherche sur les ferments sont posés : “Il y avait une vraie demande des professionnels de disposer de ferments en propre”, relate Christophe Chassard, directeur de l’UMRF. De cette exploration du monde riche mais complexe des ferments naîtra le Lip, Laboratoire interprofessionnel de production, “un spin-off” de l’Inra, qui va compléter les fruits de cette recherche publique par des travaux privés avant de commercialiser des ferments et levains d’affinage dans tout le Massif central et bien au-delà pour servir un vaste plateau de fromages. “Aujourd’hui encore, les deux tiers du chiffre d’affaires du Lip sont assis sur des souches issues du laboratoire de l’Inra”, précise Christophe Chassard.


Un hall fromager L2 unique en France
Le tournant des années 1990/2000 voit poindre et grossir les préoccupations des pouvoirs publics et des consommateurs autour des questions sanitaires, un nouveau défi crucial pour les fromages d’appellation a fortiori au lait cru. C’est dans ce contexte que l’Inra se dote en 2008 d’un hall fromager classé L2, habilité à travailler sur des organismes pathogènes. “L’enjeu était alors vital pour l’ensemble des filières soumises à une pression colossale qui a d’ailleurs eu un impact énorme sur le paysage fromager avec des fermetures de petites coops, des rachats...”, rapporte le scientifique. Seule en France et quasiment en Europe à disposer d’un hall technologique L2, l’Inra d’Aurillac va devenir un passage obligé pour nombre de filières, à pâte molle et croûte fleurie, à pâte pressée ou non..., emblématiques des terroirs tricolores mais aussi suisses ou encore allemands.
Lors de la décennie suivante, le spectre d’études de l’UMRF s’élargit avec désormais une vision globale de l’écosystème microbien en essayant de comprendre comme se constitue la flore microbienne des fromages et comment elle influe favorablement sur leur qualité. “Depuis 2015, ça a encore un peu évolué vers une vision globale des flux microbiens à l’échelle du système de production”, poursuit le directeur.
Ces dernières années, l’étude des ferments revient en force sur les paillasses de l’UMRF à la faveur de progrès technologiques majeurs, dont la possibilité de séquençage complet d’un microbe permettant de dresser son code barre génétique. “On peut même commencer à faire de la prédiction pour les associer entre eux”, détaille Christophe Chassard.
Surtout, ces agents infiniment petits servent des intérêts stratégiques bien supérieurs, la France ambitionnant de prendre le lead international dans ce domaine au travers du “Grand défi des ferments du futur”, un des chantiers du plan France 20230. Et l’unité Inrae d’Aurillac, forte de son savoir-faire scientifique et de son riche patrimoine microbien religieusement conservé dans ses frigos, en est partie prenante. “Les ferments reviennent au cœur du système que ce soit pour les filières fromagères, la santé...”, fait valoir celui qui a planché des années durant sur l’impact de l’alimentation sur le microbiote intestinal et donc la santé digestive.
Aurillac, la Mecque microbiologique
Ce dernier pilote parallèlement un vaste programme européen (Cost Pimento) associant quelque 460 acteurs et visant à placer l’Europe à l’avant-garde de l’innovation sur la grande famille des produits fermentés (dont les fromages) dont on (re)découvre les bienfaits.
Et Christophe Chassard n’hésite pas à évoquer un alignement de planètes favorable en ajoutant à ces deux programmes tricolore et européen, un troisième, celui porté localement par l’écosystème aurillacois et cantalien évoluant dans le secteur de la microbiologie : le pôle d’excellence microbiologie industrie innovation (PEM2I), auquel l’UMRF est naturellement intégrée. “Quand on regarde les forces sur la place cantalienne, on voit de nombreux acteurs extrêmement performants, que ce soit dans le domaine de la production de ferments, celui des solutions microbiennes pour la santé, des groupements agricoles, du secteur analytique, des fabricants de matériels diffusés au niveau mondial... Le Cantal a clairement quelque chose à apporter à l’échelle nationale et au-delà, insiste-t-il. C’est un Lego à finaliser pour que l’industrie du microbe passe par nous.” Et, pourquoi pas, demain, identifier des souches capables de réduire le stress hydrique des prairies et cultures ?