L’engraissement à la croisée des cornadis

La moitié des élevages bovins, représentant le tiers de la production nationale, échappe à toute forme d’organisation. Un rapport du CGAAER préconise de pousser plus loin la contractualisation, dans un environnement où, si le prix de la viande stagne, la consommation connaît des mutations, sources de menaces mais aussi d’opportunités.

« La création de valeur est possible en engraissant des animaux bien spécifiques, en complément du naissage et de l'élevage de broutards, socle de la production française ». Cette affirmation est inscrite dans un rapport du CGAAER (*), commandité par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. En 2015, le CGGAER avait déjà produit un rapport sur la contractualisation de l’engraissement en viande bovine.

Mais depuis, le paysage a quelque peu changé, avec le plan de filière (2017), la loi Egalim (2018), la sortie des acheteurs des Organisations de producteurs (OP) sans transfert de propriété, offrant toute latitude aux OP pour négocier des contrats au nom de leurs membres. Depuis décembre 2019, les opérateurs de l’aval (abattoirs, transformateurs, distributeurs) ont l’obligation de signer des contrats écrits dans la filière Label Rouge gros bovins et de s’engager sur des volumes prévisionnels.

En dépit de ces avancées, « les revenus des producteurs de viandes bovines demeurent préoccupants, constate la mission du CGAAER. Marqués par des origines de viandes très diversifiées, les prix de vente des produits stagnent à l'amont et ne bénéficient pas de l'amélioration de ceux d'aval ».

Pour déjouer cette fatalité, la mission dresse un certain nombre de constats et formule six recommandations, dont « le creuset est à l’évidence la contractualisation ».

Panorama et constats

Consommation de viande : la déconsommation structurelle de viande bovine se situe à -0,8 %/an depuis 1984 et doit être considérée comme durable. Cette situation commande une vigilance extrême sur notre marché intérieur, pour sécuriser notre approvisionnement en produits indigènes et limiter les importations. Sur 2020 les premiers éléments confirment que la viande bovine française résiste mieux (+1,2%) à la baisse globale de la consommation de viande bovine qui serait de l'ordre de 2,5 %. La mission considère que la montée en puissance de la contractualisation permettrait de dégager des marges considérablement plus élevées que les pertes résultant de la déconsommation.

Viandes brutes, hachées, élaborées : la commercialisation sous forme de viandes brutes est désormais minoritaire (43%). Les viandes hachées et élaborées (45%) et les plats préparés (12%) approchent les 60% du volume et sont en progression constante.

Bovins viande versus bovins laitiers : la part respective des contributions bovins viandes (65%) et bovins laitiers (35%) est globalement stable.

Viandes importées : en 2017, les viandes bovines importées en France (283.000 Téc 2017), issues du troupeau laitier européen, notamment allemand et hollandais, sont en recul de 15% par rapport à 2014 et de 22% par rapport à 2010. En 2020, elles se sont repliées de 10% par rapport à 2019.

Poids des acheteurs : 50% des éleveurs français vendent à des commerçants l’équivalent du tiers des gros bovins finis. 25% vendent à des OP à vocation commerciale (soit 45 coops) l’équivalent d’un deuxième tiers et 25% le dernier tiers à des OP à vocation non commerciales (32 entités). Autrement dit, la moitié des élevages est dans une démarche type « cueillette », échappant à toute forme d’organisation. Une forme de liberté́ qui a son revers : une faible capacité de négociation et de regroupement de l'offre, face à des opérateurs commerciaux structurés.

GMS, RHF, boucherie, vente directe : en 2017, les grandes et moyennes surfaces (GMS) assuraient 49% des débouchés de la viande bovine (56% en 2014), contre 24% pour la Restauration hors foyer (RHF) (19% en 2014), 11% pour la boucherie traditionnelle (15% en 2014) et 3% pour la vente directe (1% en 2014).

RHF et viandes importées : la Restauration hors foyer (RHF) et les plats préparés représentent respectivement 57% et 17% des viandes importées, justifiant la nécessité de mieux impliquer ce secteur d'utilisation dans le dialogue interprofessionnel.

RHF et SIQO : les viandes sous signes de qualité sont très peu distribuées en RHF, qui assure le débouché à seulement 4% des labels AOP et IGP et 7% du label AB des races à viande ou laitière.

Restauration hors foyer : en 2020, la RHF assure 14% des repas principaux des Français. La restauration collective assure près de 49% des repas pris à l'extérieur mais ne compte que pour 28% du chiffre d'affaires de la RHF, contre respectivement 51% et 72% pour la restauration commerciale.

Les six recommandations du CGAAER

- contractualiser, encore et toujours : la contractualisation, par ses capacités structurantes de la production et son effet de segmentation, contribue au soutien économique du secteur des viandes bovines engraissées, sous le triptyque origine géographique, races, cahier des charges, voire proximité. Interbev doit être confortée dans sa démarche de développement, tout en levant la crainte, infondée, d’assimiler la contractualisation à de l’intégration.

- réaliser l’équilibre matière, gage de valeur : la contractualisation doit associer les opérateurs qui garantissent l’écoulement de carcasses entières et pas seulement de morceaux. L’opérateur en charge de « l'éclatement » des carcasses doit donc assurer un rôle central dans des contrats multipartites, pour réaliser « l'équilibre matière » et consolider la valeur du produit, y compris dans le contexte actuel de développement des viandes hachées transformées.

- diversifier les indicateurs, oublier le prix minimum : considérant que la référence à un coût de revient unique dans l'élaboration des contrats pourrait constituer un point de blocage, la mission lui préfère des indicateurs divers, objets d'une analyse partagée, nourrissant les négociations et aboutissant au paramétrage objectif des formules de prix incluses dans les contrats.

- intégrer la restauration hors foyer dans les instances : la RHF ayant un rôle doublement essentiel dans le développement de la contractualisation, par son volume d'affaires, mais aussi parce qu'elle incarne la commande par l'aval, ce secteur doit être intégré de façon structurelle au sein des organismes interprofessionnels et du conseil spécialisé de l'établissement public FranceAgriMer. Il faut également poursuivre l'effort de formation des acheteurs publics de la restauration collective.

- regrouper l’offre : la reconnaissance des associations d'OP, commerciales d'une part, non commerciales d'autre part, doit être retenue comme une priorité à mettre en œuvre, permettant à la fois de muscler la négociation, de la rendre moins inégale et facilitant la réponse à la commande d'aval dans sa diversité.

- créer un observatoire de la viande bovine : la mission recommande l'organisation d'un dispositif structuré de collecte des données adapté à la RHF, dans la perspective de la construction d'un observatoire d’ici à 2022. La mission suggère que l'ensemble des acteurs et fournisseurs de la RHF soient fortement invités par le ministère à contribuer à cette démarche. La mission recommande détendre l’utilisation du logo VBF (viande bovine française) à la RHF.

(*) Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux