La biomasse agricole, un gisement tout relatif

Selon une note de France Stratégie, le potentiel de biomasse agricole non alimentaire est deux fois moindre que celui inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone. De nombreux freins techniques et socio-économiques restreignent l’accroissement et la mobilisation du gisement.

Renouvelable, stockable et éminemment variée (effluents d’élevage, résidus de cultures, cultures dédiées, agroforesterie...), la biomasse agricole non alimentaire revêt bien des avantages au regard de la décarbonation. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui formalise l’engagement de la France à lutter contre le changement climatique, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ne s’y est pas trompée. La décarbonation de l’énergie, via le recours à la biomasse, à la géothermie et à l’électricité décarbonée, figure au premier rang de ses objectifs, aux côtés de la réduction des émissions, d’origine énergétique et non énergétique ou encore de l’augmentation du puits de carbone.

Le risque de la surexploitation

La notion de puits de carbone est du reste une illustration des antagonismes dont est potentiellement porteuse la biomasse agricole non alimentaire. Si celle-ci peut servir la production de biocarburants, de biogaz, de bois énergie ou encore de matériaux et de molécules biosourcés, le carbone est une composante essentielle de la fertilité physico-chimique (nutrition, des plantes, réserve utile en eau...) et biologique des sols, participant à lutte contre l’érosion et à la préservation de la biodiversité. La compétition vis-à-vis des ressources alimentaires est aussi l’autre majeur à l’exploitation de la biomasse. Les débats autour des biocarburants de première génération (issues des grains), des cultures dédiées ou encore des cultures fourragères (herbe, maïs...) alimentant les méthaniseurs témoignent du la frontière ténue. « Une attention toute particulière doit donc être portée à la surexploitation de la biomasse agricole et aux externalités négatives qui pourraient contredire l'objectif global de durabilité dans un système alimentaire en mutation », prévient France Stratégie, institution rattachée au Premier ministre.

Les objectifs surévalués de la SNBC

La biomasse agricole actuellement mobilisée pour des usages énergétiques, tels que la combustion, la méthanisation ou l’usage de biocarburants, représente près de 40 térawattheures (TWh). La Stratégie nationale bas-carbone estime un potentiel de production de biomasse agricole proche de 250 TWh. Pour couvrir les besoins en biomasse projetés à long terme, France Stratégie juge qu’il serait nécessaire de recourir massivement aux résidus de cultures, aux surplus d’herbes et aux cultures intermédiaires sur un minimum de 15 millions d’ha, soit 50 % de la SAU estimée en 2050. Le potentiel énergétique maximal identifié de la biomasse agricole pourrait, en théorie, atteindre alors 120 TWh, loin des 250 TWh projetés par la SNBC.

Qui plus est, cette estimation ne tient pas compte « des potentiels effets du changement climatique, de la baisse du cheptel ou le développement de l’agroécologie, moins productive pour une culture donnée que l’agriculture conventionnelle et impliquant un retour de matière organique dans les sols plus important ».

Aspects socio-économiques

La note de France Stratégie pointe également un certain nombre de facteurs socio-économiques susceptibles d’entraver la mobilisation de biomasse. La volonté de fournir de la biomasse, les coûts de production, les incitations et taxes, la hausse du prix du carbone, les politiques de soutien...) sont autant de facteurs susceptibles d’avoir « une influence cruciale sur l'évolution des ressources en biomasse disponibles ainsi que sur leur mobilisation, mais leur impact reste difficile à quantifier (...). L’atteinte des objectifs de la SNBC en matière de mobilisation de la biomasse devra s’accompagner de signaux économiques pertinents soutenant les différentes filières et favorisant une trajectoire lisible fondée sur la hausse du prix du carbone, qui permettent d’arbitrer entre usages alternatifs ».

En conclusion, France Stratégie estime que « la mobilisation de la biomasse agricole dans le but d’atteindre la neutralité carbone est possible, mais qu’elle ne l’est pas aux niveaux fixés par la SNBC, laquelle nécessiterait la mobilisation des autres gisements de biomasse, notamment forestiers ».