L’Inrae décrypte le potentiel additionnel et le coût de stockage de carbone dans les sols

Sans pour autant compenser l'ensemble de nos émissions de gaz à effet de serre, les surfaces agricoles recèlent un potentiel de stockage additionnel de carbone significatif... moyennant un surcoût pour huit des neuf pratiques stockantes identifiées.

L’agriculture, par sa capacité à stocker du carbone dans les sols, a-t-elle le pouvoir de compenser les émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) de la France ? Une étude de l’Inrae, condensée dans un ouvrage à paraître prochainement (*) répond par la négative. Hors forêt, le stockage additionnel pour l’ensemble des surfaces agricoles françaises (grandes cultures, prairies permanentes et vignobles) est estimé +3,2‰ par an. Le chiffre est inférieur au 4‰ énoncé lors de la Cop 21 en 2015 à Paris comme étant le seuil à atteindre pour compenser, à l’échelle mondiale, les émissions annuelles de gaz à effet de serre.

Du reste, en ce qui concerne la France, le seuil de 4‰ ne compenserait que 12% des émissions nationales de GES, en considérant le stock total de carbone organique dans l’horizon 0-30 cm, 15% en considérant l’horizon 0-100 cm. Il ne faudra donc pas compter seulement sur le stockage additionnel de carbone dans les sols pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais la séquestration n’en demeure pas moins une partie de la solution.

En vigne, le potentiel de stockage additionnel par enherbement est significatif (3,7 ‰/an) mais faible à l’échelle de la France entière du fait des faibles surfaces concernées
En vigne, le potentiel de stockage additionnel par enherbement est significatif (3,7 ‰/an) mais faible à l’échelle de la France entière du fait des faibles surfaces concernées

L’essentiel du puits additionnel en grandes cultures

Selon l’Inrae, le potentiel de stockage additionnel par adoption de pratiques stockantes se trouve très majoritairement dans les systèmes de grandes cultures, qui représentent à eux seuls 85,6% du potentiel total, contre 12,6% pour les prairies permanentes et 1,8% pour le vignoble. La faible contribution des prairies (équivalent à 0,9 ‰/an) est le fait de stocks initiaux plus élevés et d’une assiette modeste pour les pratiques stockantes étudiées, en particulier pour le remplacement de fauches par des pâturages, dont la mise en œuvre est limitée par la nécessité de constituer des réserves fourragères hivernales.

En vigne, le potentiel de stockage additionnel par enherbement est significatif (3,7 ‰/an) mais faible à l’échelle de la France entière du fait des faibles surfaces concernées.

En grandes cultures, le potentiel est estimé 5,1‰/an, sous l’effet, pas ordre décroissant d’importance, de l’extension des cultures intermédiaires (41% du potentiel additionnel en grandes cultures), de l’agroforesterie intraparcellaire (23%), de l’insertion et de l’allongement des prairies intermédiaires (17%), du semis direct (14%) ou encore des haies (3%).

Au plan géographique, les régions offrant le plus de potentiel de stockage additionnel sont les plus septentrionales.

Potentiel de stockage additionnel sur l’horizon 0-30 cm par région, exprimée en tonne de carbone par ha et par an (Source : INRAE)
Potentiel de stockage additionnel sur l’horizon 0-30 cm par région, exprimée en tonne de carbone par ha et par an (Source : INRAE)

Un coût additionnel dans presque tous les cas mais...

Globalement, l’analyse qui précède montre que, hormis l’enherbement de l’inter-rang des vignes, le stockage additionnel de carbone dans le sol génère un coût additionnel pour l’agriculteur. Les pratiques permettant de stocker le plus à l’échelle nationale (cultures intermédiaires, insertion et allongement des prairies temporaires, agroforesterie intraparcellaire) ont des coûts de stockage moyens compris entre 180 et 423 €/tC et par an sur l’horizon 0-30 cm. Ces niveaux sont plus élevés que le prix actuel du carbone (25 €/tCO2e, soit 91,75 €/tC si l’on prend comme référence les prix sur le marché européen d’échange de quotas carbone qui n’inclut pas le secteur agricole) ou le montant de la contribution climat-énergie (55 €/tCO2e, soit 201,7 €/tC). Toutefois, toutes les pratiques, en dehors des haies (4380 €/tC), ont un coût de stockage inférieur à la valeur tutélaire du carbone à horizon 2030 en France (250 €/tCO2e, soit 917,50 €/tC).

De plus, le coût des pratiques a été rapporté au seul stockage additionnel de carbone dans le sol, alors que plusieurs d’entre elles ont un bilan de GES net renforcé quand on considère leur bilan GES complet, incluant notamment le stockage de carbone dans la biomasse. Rapportée à la tonne de CO2e soustraite de l’atmosphère, l’efficience de ces pratiques est modifiée et améliorée.

Ces coûts unitaires sont ici exprimés en moyenne nationale. Ils présentent néanmoins une grande variabilité interrégionale, due aussi bien à la variabilité du stockage additionnel qu’à la variabilité des pertes ou gains de revenus liés à la mise en œuvre de la pratique stockante.

Selon l’étude, le coût global annuel induit par la mise en œuvre des neuf pratiques stockantes s’élèverait à 2,6 milliards d’euros.

Coût des différentes pratiques de stockage additionnel de carbone sur l’horizon 0-30 cm et sur l’ensemble du profil (Source : INRAE)
Coût des différentes pratiques de stockage additionnel de carbone sur l’horizon 0-30 cm et sur l’ensemble du profil (Source : INRAE)

Des co-bénéfices non comptabilisés et non monétisés

En plus d’un stockage additionnel de carbone, plusieurs des pratiques présentent des co-bénéfices. C’est le cas des cultures intermédiaires, qui améliorent la qualité de l’eau et contribuent aussi à l’atténuation du changement climatique via des effets biogéophysiques (augmentation de l’albédo par exemple), ou encore de l’agroforesterie intraparcellaire et des haies qui ont un effet positif sur la protection de la biodiversité, l’esthétique des paysages, la réduction du risque érosif lié au ruissellement. Ces services n’ont pas été monétarisés dans le cadre de l’étude, qui fait porter sur le seul stockage de carbone l’ensemble des coûts de mise en place et d’entretien des infrastructures.

A contrario, certaines des pratiques stockantes peuvent avoir, dans certains contextes, des effets négatifs qu’il faudrait mieux quantifier, relève les auteurs. L’accroissement de la couverture végétale du sol (cultures intermédiaires, prairies temporaires, agroforesterie intraparcellaire) entraîne une réduction de la lame d’eau drainée annuelle (qui alimente les nappes phréatiques) qu’il conviendrait de chiffrer, en particulier dans un contexte de changement climatique et de raréfaction de la ressource en eau. L’extension des cultures intermédiaires et des prairies temporaires pose aussi la question de la destruction de ces couverts, dans une perspective d’abandon du glyphosate.

(*) Stocker du carbone dans les sols français : quel potentiel et à quel coût ? Sylvain Pellerin, Laure Bamière, Isabelle Savini, Olivier Réchauchère - Éditions Quæ - 232 pages - 40 €