La race salers sans gouvernance

Sept des huits membres du bureau du HBS, dont le président Lionel Duffayet, ont décidé de jeter l’éponge au terme d’un mandat émaillé de tensions avec les salariés.

Tous gardent la passion de la vache salers chevillée au corps, plus que jamais sans doute. Et malgré la démission de leur mandat (ou son non renouvellement pour certains) qu’ils ont présentée au dernier conseil d’administration du Herd-book salers (HBS), tous resteront adhérents des instances raciales, continueront à participer aux concours et manifestations de la race acajou. “On ne part pas en claquant la porte”, insistent Lionel Duffayet, président démissionnaire du HBS, et six des huit membres(1) du bureau qui ont choisi de l’imiter. Pas de départ à grand fracas mais avec le sentiment d’un vrai gâchis, d’un échec individuel et collectif, et une part d’amertume.
Impossible collaboration
Vendredi dernier, Lionel Duffayet, ses vice-présidents Géraud Trin et Charles Vantal, le secrétaire général adjoint David Fourtet, le trésorier Stéphane Fau et le président d’Intergènes André Clavel ont décidé d’expliquer les raisons qui ont présidé à leur décision. Des motivations qui tiennent dans l’impossibilité pour l’équipe gouvernante de faire partager et appliquer ses orientations aux salariés. Ces tensions et difficultés relationnelles ne sont pas nouvelles mais sont allées crescendo ces derniers mois. En 2015 déjà, le directeur adjoint - recruté pour décharger en partie Bruno Faure, alors directeur du HBS et GSE qui avait pris des responsabilités politiques plus importantes - démissionne six mois seulement après son embauche , “suite à l’impossibilité de manager l’équipe en place et d’avoir des relations normales avec ses collègues”, indique Lionel Duffayet.
Nouvel épisode en 2016 : au sortir d’une assemblée générale mouvementée et après avoir été (ré)élus avec une mobilisation et un soutien massifs des éleveurs adhérents, “on a voulu définir une feuille de route, en dressant l’état des lieux de ce qui allait bien et de ce qui devait être amélioré”, expose le président démissionnaire(2). Feuille de route que le bureau souhaite logiquement partager avec les collaborateurs. Ce qui relevait d’une démarche participative se transforme en vrai blocage : “Les salariés ont été très réticents, ils ont perçu ça comme une remise en cause de leur travail”, poursuit l’éleveur de Saint-Cernin.
Dans ces conditions, l’arrivée et la mise en place en 2017 d’un nouveau règlement zootechnique s’annoncent des plus ardues. “On n’avait ni le temps ni les compétences pour cela, on reste avant tout des éleveurs, œuvrant bénévolement à la promotion et aux orientations de  la race”, rappelle le groupe, qui sollicite alors l’expérience et l’appui technique de Bernard Lafon, ancien directeur de Bovins croissance. À juste
titre : la race salers sera l’une des premières à déposer son dossier auprès du ministère de l’Agriculture. Réjouissance de courte durée.
Démissions en chaîne
Au printemps 2019, Bruno Faure souhaitant se consacrer  pleinement à ses mandats politques, le recrutement d’un nouveau directeur est lancé en recourant à un cabinet spécialisé, Bernard Lafon assure l’interim. Il faut attendre 18 mois pour recevoir plusieurs candidatures correspondant tout à la fois au poste et aux moyens
- modestes - de la structure. C’est donc le profil d’une jeune ingénieure en début de carrière qui est retenu. Tandis qu’un contrat de professionnalisation est recruté sur le volet communication et une stagiaire pour une étude sur le broutard salers.
“Avec l’expérience de Bernard Lafon et ses trois jeunes recrues très motivées et compétentes, on était confiant, on avait de quoi voir sereinement l’avenir, travailler à des projets, et non pas se contenter d’assurer les missions du quotidien”, estime le bureau.
Solenne Ferrer-Diaz prend ses fonctions de directrice en août 2020, parrainée par Bernard Lafon. “Elle nous a impressionnés tout comme nos partenaires, le Coram, Races de France… par sa capacité à comprendre les choses, sa réactivité. Son seul tort ? Avoir cherché à comprendre le fonctionnement interne de l’équipe, en proposant un audit, sans rien brusquer… Elle s’est heurtée à un mur”, déplorent David Fourtet et Lionel Duffayet. Bis repetita : moins de six mois après son arrivée, la jeune femme jette l’éponge à son tour.
Préserver la structure et ses intérêts financiers
Plutôt qu’une troisième tentative “et de sacrifier d’autres personnes à la direction et à la communication”, le bureau change de stratégie et propose aux salariés en poste d’évoluer en autogestion, en se répartissant les responsabilités ou en choisissant l’un d’eux comme directeur. “On leur a laissé un mois de réflexion pour  faire des propositions.” En vain : une nouvelle réunion courant mars s’avère vite improductive, aucun projet n’est avancé par les salariés, qui demeurent silencieux face à la
proposition de la dernière chance du président : “Repartir sur de bonnes bases, considérant qu’il y a avait sûrement des erreurs de leur part, probablement de la nôtre aussi. Je leur ai proposé d’être intégrés à tous les conseils d’administration, toutes les réunions de travail au-delà de celles auxquelles ils participaient déjà. Il n’y a eu aucune réponse.”
Le divorce est  définitivement consommé. Pour Lionel Duffayet, la seule solution pour ne pas bloquer ni hypothéquer le travail des instances raciales est de se retirer. “Je ne savais pas alors que des membres du bureau me suivraient…” Pour David Fourtet, Charles Vantal et leurs collègues, c’est pourtant une évidence : “Au sein du bureau comme du conseil, on a toujours travaillé dans la convivialité, le respect des idées de chacun, la parole libre. À partir du moment où le président se retirait, on ne pouvait pas continuer. On s’arrête là car il n’y a plus de dialogue possible avec les salariés.”
Un choix guidé également par la préservation de l’intérêt financier des deux structures (HBS et Groupe salers évolution) : “Nous, ça ne coûte rien de nous “virer” puisqu’on était 100 % bénévoles...” D’ailleurs, s’il est un élément dont Lionel Duffayet se dit fier, c’est de laisser le Herd-book et le GSE dans une bonne santé financière, pas riches mais dégageant un résultat respectif de 70 000 et 60 000 € sur l’exercice 2020.
Si leur démission ne sera effective que le 4 juin, jour de l’assemblée générale du HBS, ce que tous espèrent désormais, c’est que leur retrait serve d’électrochoc, à rebâtir des relations sereines et constructives pour la race entre la future gouvernance et les salariés.

(1) Lionel Duffayet, David Fourtet, Géraud Trin, André Clavel sont démissionnaires, Charles Vantal et Stéphane Fau, renouvelables, ne souhaitent pas se représenter, tout comme Jean-François Beyle.
(2) En 2011, son prédécesseur Bruno
Dufayet avait également décidé de démissionner.