Le lait bio en quête de pistes de différentiation

Face à une consommation qui s’effrite et une offre qui poursuit sa hausse, le lait bio français cherche à séduire les consommateurs en étoffant son cahier des charges pour répondre aux nouvelles attentes sociales, environnementales et nutritionnelles.

Depuis 10 ans, la production française de lait bio a quasiment été multipliée par quatre. Le nombre de fermes converties au bio a connu des hausses successives à la suite des crises de 2009 et de 2015 et les volumes moyens de lait produits par exploitation sont aussi en augmentation depuis des années. « Actuellement, le volume moyen pour les entrées en conversion est de près de 500 000 litres, alors qu’il était de 200 000 il y a dix ans », indique Antoine Auvray, économiste au Cniel.

Mais la consommation, qui jusqu’à récemment était bien corrélée à l’offre, montre désormais des signes de fatigue. « A partir de 2020, on observe un décrochage de l’évolution de l’utilisation de la matière grasse et de la matière protéique par rapport à la collecte de lait de vache », observe Antoine Auvray. Autrement dit, il y a un ralentissement de la demande en matière grasse bio, ce qui n’était pas observé jusqu’à présent.

Le frein sur les volumes

Grâce à son enquête semestrielle auprès des opérateurs de la filière, établie sur la base des conversions bio, le Cniel établit des projections pour les vingt-quatre prochains mois. « En 2022, la collecte de lait bio en France est estimée à 1,35 milliard de litres, soit une hausse de 25% par rapport à 2020 », indique l’économiste. Avec cependant un tassement de la courbe de croissance : les volumes de lait bio augmenteraient de 12% entre 2020 et 2021 puis de 9% entre 2021 et 2022.

Face à une demande qui patine, les laiteries mettent le frein sur les volumes bio. « En 2021 nous avons arrêté de prendre de nouvelles conversions », fait savoir Sébastien Courtois, administrateur chez Sodiaal. La coopérative, dont le lait de consommation représente 80% du marché, se tourne vers des segments comme le lait infantile et le fromage bio, pour lesquels « il y a encore des perspectives de développement ».

Parmi les autres pistes d’action pour capter davantage de consommateurs, la coopérative travaille également à développer son propre référentiel bio, « Le Bio Pré de chez vous ». Celui-ci inclut au moins 180 jours de pâturage dans l’année, une alimentation 100% origine France, une limitation des troupeaux à moins de 240 vaches laitières, ainsi que des diagnostics en matière de bilan carbone et de bien-être animal. 

"Les attentes du consommateur vont bien au-delà du cahier des charges bio"

On assiste ainsi depuis plusieurs années à une multiplication des labels se juxtaposant à celui du bio européen, celui-ci ne semblant plus être suffisamment attractif pour séduire le consommateur. « Les attentes du consommateur vont bien au-delà du cahier des charges bio, constate Thierry Renard, président de la laiterie ariégeoise Biochamps. Il y a très peu de critères concernant la distribution ou la transformation dans le label bio ». Et de citer les attentes autour du social, du commerce équitable, mais aussi du refus de l’ultratransformation. « L’homogénéisation du lait, la microfiltration, la congélation, ce sont autant de techniques qui sont autorisées en bio car rien ne l’interdit. Mais il me semble que le jour où le consommateur découvre que son yaourt bio est fabriqué avec du lait congelé, il peut y avoir un problème », explique celui qui prône la « transformation douce ». « Dans notre laiterie, on voit le produit, tout n’est pas dématérialisé dans des tuyauteries ».

Thierry Renard se dit « confiant dans le développement du marché de la bio sur le temps long. Le consommateur aspire à une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement ». « Il faut essayer d’imaginer la bio d’après », enjoint-il. « Mais changer le label européen prendrait 15 ans ! D’où la multiplication des labels alternatifs ».