Le rejet du Ceta, entre hara-Kiri et vache qui rit moins

[Edito] Le Sénat a massivement rejeté un accord de libre-échange appliqué dans l’indifférence totale depuis 7 ans. Le Ceta est assez emblématique des contorsions idéologiques auxquelles peuvent se livrer les Etats, ici le Canada et la France, et les filières, ici le lait et la viande bovine, pour arrondir les angles de leurs prés... carrés.

Alors que le Chili ou encore la Nouvelle-Zélande disputaient depuis quelque temps la vedette au Mercosur, le Ceta vient de se réinviter à la table toujours bruyante des accords de libre-échange. Le Sénat a quelque peu cassé l’ambiance, au point que la majorité présidentielle a quitté l’hémicycle avant un vote perdu d’avance. Le veto des sénateurs parachève en France un processus démocratique par ailleurs inachevé dans l’ensemble des Etats membres de l’UE, mais qui n’avait pas empêché l’accord de s’appliquer depuis 7 ans, sans que personne n’y trouve rien à redire. Et pour cause : si l’on en croit le gouvernement, le bilan comptable entre la France et la Canada est depuis largement à notre avantage, y compris dans le secteur d’ordinaire sacrificiel qu’est l’agriculture. De là à y voir une sorte de hara-Kiri ou de hara-Vache-qui-rit...

Le Canada, une bulle laitière...

Avec les vins et spiritueux, la filière laitière nationale est en effet l’une des principales filières agroalimentaires bénéficiaires de cet accord en particulier et des échanges internationaux en général. En 2023, elle a enregistré un bénéfice commercial de +2,5 milliards d’euros. Dans le secteur laitier, le Canada a pris le contre-pied total du libre-échange. Depuis 1971, le pays a fermé ses frontières en instaurant un système de gestion de l’offre, via un triple contrôle de la production, des importations et des prix. La production nationale est alignée sur la demande intérieure, garantissant aux éleveurs un revenu stable et équitable, sans subvention et sans dumping vis-à-vis de pays tiers, cadenassant au passage les industriels mais posant quelques problèmes de transmissibilité des exploitations. Le prix du lait reste abordable pour les consommateurs mais le plateau de fromages un peu moins affriolant que le nôtre, il faut bien le dire. D’où la tentation d’emprunter nos appellations pour exciter à peu de frais le cortex de nos « cousins ». Ce que le Ceta contrecarre, en garantissant la protection d’IGP et d’AOP, notamment fromagères. Ha ha...

... un libéralisme débridé en viande

En revanche, dans le secteur de la viande, le Canada pousse le libéralisme à son paroxysme, en autorisant sur son sol la culture des plantes OGM destinées à l’alimentation animale, l’usage de farines animales dans cette même alimentation ou encore et le recours à des substances anabolisantes en production bovine (et porcine). Autant de saveurs que le pays était généreusement disposé à livrer à nos vierges papilles, quitte à creuser un peu plus notre déficit commercial en viande bovine. Un chiffon rouge agité par les sénateurs - en dépit des garde-fous inscrits dans le Ceta - dans un savoureux faux-semblant d’unité transpartisane. Tant que le faux-filet de Blonde d’Aquitaine, de Charolaise ou de Limousine n’est pas faux...