« Les acheteurs de crédits carbone ne sont pas hors-sol »

Le Label bas-carbone (LBC) ouvre la voie à la rétribution de démarches vertueuses en matière de décarbonation. Encore faut-il assurer le pont entre l’offre et la demande. C’est la vocation d’opérateurs de compensation carbone tels que Carbonapp, récemment cofondée par Nicolas Ferriere. Interview.

D’où vient Carbonapp ?

Nicolas Ferriere : Carbonapp réunit différents co-fondateurs dont Paul et Gaultier, qui produisent du biochar. Le biochar c’est quoi ? Et bien c’est un produit issu de la pyrolyse du bois. Riche en phosphate, il trouve des débouchés dans les domaines de la fertilisation et de l’alimentation animale. Le biochar recèle une énorme capacité à stocker le carbone et c’est ce qui nous a conduit à nous intéresser à la compensation carbone. Pour ma part, j’ai travaillé dans le secteur des certificats d’économies d’énergie (CEE), un dispositif qui a de fortes similitudes avec les certificats carbone et le lien s’est donc fait naturellement. Aujourd’hui, notre équipe compte cinq personnes et plusieurs embauches sont prévues en 2021.

Nicolas Ferriere, co-fondateur de Carbonapp (Crédit photo : Carbonapp)

Quel est le rôle de Carbonapp dans le processus de compensation carbone ?

Nicolas Ferriere : Carbonapp fait office d’intermédiaire entre des exploitations agricoles et des grandes entreprises ou collectivités territoriales souhaitant s’engager dans le mécanisme de compensation volontaire. Celle-ci consiste à financer un projet qui va réduire ou séquestrer des gaz à effet de serre (GES). C’est donc un outil qui permet à ces organisations de s’inscrire dans une trajectoire de neutralité carbone nette. Cet outil qu’est la compensation carbone est complémentaire d’une démarche de comptabilisation et de réduction des émissions de GES et la quantité d’émissions compensées correspond à la partie résiduelle, incompressible de son propre périmètre d’activité. Ainsi, lorsque la compensation est associée à une démarche d’évitement et de réduction des émissions, ce n’est pas du « greenwashing ».

Avec quelles entreprises êtes-vous en contact et sur quelles bases contractuelles ?

Nicolas Ferriere : Nous sommes en contact avec des entreprises de tout secteur : télécommunication, assurance, industries, foncières immobilières, ou encore des acteurs du bâtiment. Nous signons avec ces entreprises des contrats de délégation de service stipulant expressément un volume exprimé en tonnes équivalent CO2 (TeqCO2) assorti d’un prix ferme à la tonne. Nous avons formalisé nos premiers contrats dans le secteur forestier et nous abordons aujourd’hui le secteur agricole.

Comment approchez-vous le milieu agricole ?

Nicolas Ferriere : Nous souhaitons apporter notre expertise à la chaine de valeur existante qui a déjà abordé ce virage de la transition climatique. Nous sommes en contact avec des Chambres d’agriculture, avec des coopératives agricoles, des sociétés comme le CER et d’autres formes de groupements. Ces structures sont susceptibles de fédérer des groupes d’agriculteurs et de massifier la valorisation des crédits carbone. Mais nous n’excluons pas d’entrer en relation directe avec des agriculteurs.

Quels sont les contours exacts de vos prestations ?

Nicolas Ferriere : Nous rendons la certification Label bas-carbone lisible pour les acteurs de terrain et assurons le montage et l’instruction du dossier de labellisation auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire, en s’assurant de sa conformité aux critères d’éligibilité. Lorsque ce dernier décerne le Label bas-carbone, nous accompagnons la contractualisation du porteur de projet avec le financeur en défendant ses intérêts. L’objectif est bien d’agir de concert avec la filière en la délestant de toute la partie administrative de la labellisation et en assurant le financement.

A quel prix peut-on espérer valoriser la tonne équivalent CO2 ?

Nicolas Ferriere : Dans le secteur forestier, la fourchette est comprise entre 25 et 45 euros hors taxes la tonne selon les spécificités techniques des projets et la conformation du terrain. En agriculture, ce sont à la fois les coûts induits par les changements de pratiques et les co-bénéfices, tels que la réduction de la dépendance au soja importé, qui vont en partie jouer sur le prix. Actuellement, on peut miser sur une fourchette comprise entre 30 et 40 euros hors taxes la tonne. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au-delà du prix ramené à la TeqCO2, nous tenons compte de l’ensemble des co-bénéfices : préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des sols, entreprises locales etc. Ils justifient un prix qui peut être plus élevé mais ces co-bénéfices sont particulièrement appréciés des financeurs.

Quelles sont les perspectives à moyen terme tant en volume qu’en prix ?

Nicolas Ferriere : Avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), la France s’est fixée l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le cadre réglementaire sera nécessairement de plus en plus contraignant pour les entreprises comme l’illustre l’obligation pour celles employant entre 51 et 250 salariés d’établir un bilan simplifié de leurs émissions de GES avant le 31 décembre 2023.

La demande risque donc d’être soutenue pendant de longues années. S’agissant des prix, je peux citer l’exemple de foncières immobilières qui s’engagent massivement, et sur le long terme, dans l’achat de crédits carbone pour se donner les moyens d’atteindre leurs objectifs en 2050 mais aussi parce qu’elles estiment que les prix du carbone vont augmenter.

Comment se rémunère CarbonApp ?

Nicolas Ferriere : Supportée par le financeur, notre marge représente quelques euros la tonne et tient compte d’une dégressivité en fonction des volumes engagés dans la délégation de services. Cette marge est ensuite partagée pour rémunérer le travail des acteurs agricoles intermédiaires qui participent à la massification de l’offre et à l’émergence de ces projets.

Et l’humain dans tout cela ?

Nicolas Ferriere : Les entreprises ne veulent pas se contenter de gérer de la paperasse, de faire office de guichet, de réaliser des virements bancaires, sans savoir où et comment sont fléchés les crédits carbone individuels et collectifs. Les acheteurs de crédits carbone ne sont pas hors-sol. Ils veulent avoir un lien avec les exploitations agricoles qu’ils soutiennent. Carbonapp s’attachera à établir ce lien en employant différents moyens de communication, dont la vidéo.