« Malgré le goutte-à-goutte enterré, la source est à sec »

A Thuir (Pyrénées-Orientales), Jean-Marie Noëll avait planté en 2008 près de 7 hectares d’abricotiers en goutte-à-goutte enterré pour économiser l’eau. Mais le sur-investissement dans la sobriété est mal récompensé, avec une source à bout de ressource.

« L’année dernière à pareille époque, je pouvais arroser mes abricots jours et nuit. Cette année, la source s’est tarie dès le mois d’avril, c’est la première fois que je vois ça ». A 75 ans passés, l’arboriculteur a quelques cagettes de Rouge et autres Royal du Roussillon sur la balance. Mais il n’a pas encore tout vu, la preuve avec cette nouvelle péripétie climatique. L’arboriculteur exploite en bio un verger de 24 ha à l’épicentre duquel se trouve une source qui assure l’intégralité des besoins en eau.

"Les trois quarts des poissons sont morts, et depuis, c’est mes abricotiers qui passent l’arme à gauche"

Ou plutôt, qui assurait. Car début avril, le bassin tampon d’environ 500m3 a commencé à s’assécher. « Les trois quarts des poissons sont morts, et depuis, c’est mes abricotiers qui passent l’arme à gauche ».

Jean-Marie Noëll, un brin désemparé, au pied du bassin tampon de la source qui, pour la première fois, n’a délivré qu’un filet d’eau à compter du mois d’avril
Jean-Marie Noëll, un brin désemparé, au pied du bassin tampon de la source qui, pour la première fois, n’a délivré qu’un filet d’eau à compter du mois d’avril

L’arboriculteur déplore quelques dizaines d’arbres dont le feuillage s’est asséché prématurément, augurant un risque de mortalité d’ici à la fin de l’été. Payer des salariés pour faire tomber les fruits, sauver les arbres et plier boutique faute de récolte ou prendre le risque d’une récolte maigrichonne en tonnage et en calibre pour tenter de survivre : tel était les deux mauvais choix auxquels était confronté le producteur, qui a privilégié le second.

Cette année, la majorité de la production est constituée de petits calibres de 35-40 mm
Cette année, la majorité de la production est constituée de petits calibres de 35-40 mm

Il faudra attendre la fin de la saison pour tirer le bilan, notamment en matière de mortalité. Pas de surprise s’agissant de la récolte. « J’ai 80% de petits calibres », affirme Jean-Marie Noëll. Et qui dit petits calibres dit petits tonnages et petits prix.

Si l’arboriculteur a été surpris par l’assèchement de la source, le contexte hydrique des Pyrénées-Orientales depuis le printemps 2022, avec une pluviométrie inférieure à 300mm en 12 mois, était prémonitoire. Dans son dernier bulletin hydrogéologique relatif à au mois de mai, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), faisait état dans le Roussillon de points de nappe superficielle affichant des niveaux historiquement bas et d’un risque d’intrusion saline « fort ».

Le goutte-à-goutte enterré, 25% plus sobre, 25% plus cher

Bien que disposant, jusqu’à cette année, d’une ressource en eau à volonté, l’arboriculteur était depuis longtemps sensibilisé aux enjeux de la ressource en eau. En 2008, il avait planté 7 ha d’abricotiers en goutte-à-goutte enterré à 30 cm de profondeur, permettant de biberonner les arbres et de limiter l’évapotranspiration, moyennant le recours à des au niveau des goutteurs autorégulants, auto-nettoyants et dotés d'un mécanisme anti-siphon résistant à l’intrusion des racines.

L’arboriculteur a installé un réseau de goutte-à-goutte enterré sur près de 7 ha, équivalent au tiers de la surface de son verger
L’arboriculteur a installé un réseau de goutte-à-goutte enterré sur près de 7 ha, équivalent au tiers de la surface de son verger

Comparativement au goutte-à-goutte aérien, l’enterré permet d’économiser entre 10% et 30 % d’eau selon le type de sol, moyennant un sur-investissement de l’ordre de 25 à 30%. « Ça m’a coûté 25.000 euros », se souvient très bien le producteur, qui espère ne pas vivre pareil péril l’année prochaine.

Les 8 ha d’agrumes ne bénéficieront pas du goutte-à-goutte enterré, « trop cher »
Les 8 ha d’agrumes ne bénéficieront pas du goutte-à-goutte enterré, « trop cher »

Mono-espèce jusqu’en 2021, Jean-Marie Noëll a diversifié son verger en plantant près de 8 ha d’agrumes (orangers, mandariniers et pamplemoussiers). Mais eux ne profiterons pas du goutte-à-goutte enterré. « Trop cher, lâche l'arboriculteur. Avec la répétition des phénomènes de gel et de sécheresse, ça fait six ans que je ne gagne pas d’argent ».

Les abricots sont commercialisés par Alterbio sous la marque Couleur Midi
Les abricots sont commercialisés par Alterbio sous la marque Couleur Midi

Les racines des agrumes étant encore superficielles, les arbres ont tiré profit des pluies ces dernières semaines. Quelques gouttes d’espoir.

Un cas loin d'être isolé

Le cas de Jean-Marie Noëll est loin d’être isolé dans un département soumis à des restrictions d’usage de l’eau depuis le 23 février (alerte renforcée) et plus encore depuis le 10 mai avec le passage en « crise » sécheresse, que la Préfecture vient de proroger jusqu’au 26 juillet.

Selon des prévisions établies par la Chambre d’agriculture à la mi-mai, le préjudice pourrait osciller entre 367 et 754 millions d’euros, affectant massivement les secteurs arboricole et viticole, avec un ratio de 75/25 entre pertes de récolte et pertes de fond. En septembre, le Préfecture devrait présenter un plan de gestion de l’eau sur le long terme, activant plusieurs leviers tels que la réparation des réseaux, la réutilisation des eaux usées traitées, le suivi numérique de la consommation ou encore le dessalement. Pas de nouvelles sources en vue.