« On a un hiver comme un été et on a vidé deux barrages »

Entre une imploration religieuse pour faire tomber la pluie et une réunion cruciale en préfecture, les agriculteurs des Pyrénées-Orientales dénoncent les méfaits d’une décision judiciaire, alors qu’ils sont sous la menace d’une interdiction totale des prélèvements, avant même l’ouverture des premières vannes.

Après les interdictions d’arroser les pelouses, les potagers, les espaces verts et les golfs, de laver les terrasses et les voiries, de remplir les piscines privées ou encore de laver les véhicules (hors station) et les bateaux de plaisance, les agriculteurs des Pyrénées-Orientales (PO) redoutent la prochaine étape dont ils seront à peu près les seuls à faire les frais : l’interdiction totale de prélever l’eau pour irriguer les cultures.

Gérard Majoral, producteur de fruits et légumes à Thuir, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) : « Soit on peut produire, soit on a un plan social pour le département »
Gérard Majoral, producteur de fruits et légumes à Thuir, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) : « soit on peut produire, soit on a un plan social pour le département »

Le département est en effet sous le coup d’une double sécheresse estivale (2022) et hivernale, qui a conduit la préfecture à classer quasiment l’intégralité du département en situation d’alerte renforcée dès le 23 février dernier, soit sur une échelle de 4, le troisième grade d’alerte avant le classement en situation de « crise », synonyme d’interdiction d’irriguer. Plusieurs communes sont privées d’eau sous l’effet du tarissement de sources.

"Soit on peut produire, soit on a un plan social pour le département"

Programmé le 21 mars en préfecture, le prochain comité sécheresse sera déterminant. Or la situation hydrique ne s’est  guère arrangée depuis, tandis qu’une échéance judiciaire se rapproche à grand pas : le 1er avril, le débit réservé de la Têt, qui alimente un barrage d’une capacité de 24 millions de mètres cubes d’eau, devra passer de 0,6 m3/s à 1,5 m3/s toute l'année, conformément à la décision du tribunal administratif de Montpellier, suite à une action intentée par la FNE Languedoc-Roussillon. « Soit on peut produire, soit on a un plan social pour le département », déclare Gérard Majoral, producteur de fruits et légumes à Thuir (Pyrénées-Orientales), secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). « Soit on laisse barboter quatre poissons, soit on joue avec la souveraineté alimentaire d’un pays », renchérit Julien Bousquet, secrétaire général des JA des PO.

Selon la Chambre d’agriculture, les PO sont le 1er département producteur de pêches nectarines et de laitues, le 2ème en concombres, le 5ème en abricots ou encore le 2ème bassin de production d’artichauts.

Le 18 mars, les pieds dans la Têt, des agriculteurs ont imploré Saint Gaudérique, patron des cultivateurs, de faire tomber la pluie, réinstaurant une pratique séculaire, abandonnée au 18ème siècle
Le 18 mars, les pieds dans la Têt, des agriculteurs ont imploré Saint Gaudérique, patron des cultivateurs, de faire tomber la pluie, réinstaurant une pratique séculaire, abandonnée au 18ème siècle
"Si on arrête d’arroser les vergers, on prend 1°C en plus"

La FDSEA et les JA fustigent la décision du tribunal, contre laquelle le préfet a fait appel, non suspensif, et plus encore l’immixtion des associations environnementalistes dans la gestion de l’eau. « Cela fait plus de 800 ans que les agriculteurs de ce département gèrent et partagent l’eau en responsabilité, poursuit Gérard Majoral. On s’est rapproché des meilleurs, les Israéliens, pour optimiser au mieux la ressource. Les problèmes de l’eau sont arrivés depuis que l’on empêche les agriculteurs de s’en occuper. Des idées y en a plein, mais des solutions, y en a aucune. Et si on arrête d’arroser les vergers, on prend 1°C en plus ».

Les barrages de Vinça, sur la Têt (24 millions de m3 d’eau) et de Caramany sur l’Agly (27 millions de m3 d’eau) et les réseaux de canaux constituent le socle de l’irrigation dans le département. Ces deux ouvrages ont aussi pour fonction de parer au risque de crue, ce qui jusqu’à présent impliquait de retarder au maximum la date limite de leur rechargement. Sauf qu’avec la baisse des précipitations et de l’enneigement, les barrages sont mal partis pour faire le plein d’ici au 30 juin, alors qu’il faut en prime réserver davantage de débit aux fleuves. « On a un hiver comme un été et on a vidé deux barrages », se désole Gérard Majoral, qui regrette aussi l'absence de nouveaux projets de création de ressource, dans un département à la population croissante et par ailleurs dépendant de son activité touristique, autre pilier économique.

Julien Bousquet, secrétaire général des JA des PO : « Soit on laisse barboter quatre poissons, soit on joue avec la souveraineté alimentaire d’un pays »
Julien Bousquet, secrétaire général des JA des PO : « Soit on laisse barboter quatre poissons, soit on joue avec la souveraineté alimentaire d’un pays »

En attendant les prochaines décisions des services de l’Etat, des agriculteurs s’en sont remis au divin en organisant le 18 mars à Perpignan une procession en l’honneur de Saint Gaudérique, patron des cultivateurs, lui implorant de faire tomber la pluie, réinstaurant ainsi une pratique séculaire, abandonnée au 18ème siècle. Selon Météo-France, dans la nuit du 18 au 19 mars, il est tombé 36,8mm de pluie à Perpignan, soit le plus important cumul quotidien depuis le 23 septembre 2022 et l’équivalent de trois semaines de pluie en mars.

Le 18 mars, il est tombé 36,8mm de pluie en 24h à Perpignan, soit le plus important cumul quotidien depuis le 23 septembre 2022 et l’équivalent de trois semaines de pluie en mars
Le 18 mars, il est tombé 36,8mm de pluie en 24h à Perpignan, soit le plus important cumul quotidien depuis le 23 septembre 2022 et l’équivalent de trois semaines de pluie en mars