Négociations commerciales : pour quelques centimes de plus

A quelques jours de la clôture des négociations commerciales, le médiateur Serge Papin demande un amendement de la loi LME de 2007 et une contractualisation pluriannuelle. Nicolas Chabanne, le créateur de la marque « C’est qui le patron », exige une représentation des consommateurs.

1 ou 2 centimes par yaourt, 8 centimes par litre de lait, 15 centimes par plaquette de beure bio, 4 centimes sur le steak de 150 grammes, 80 centimes sur les achats annuels de farine et 1,60 euros sur ceux de jus de pommes : ce sont les suppléments de prix qu’il suffirait d’appliquer pour que « les producteurs se lèvent le matin avec le sourire et se couchent le soir avec le sourire », a déclaré Nicolas Chabanne, au micro de France Inter le mercredi 24 février. Chiffres à l’appui, le créateur de la marque coopérative « C’est qui le patron » a affirmé que les consommateurs étaient prêts à payer plus cher leurs produits alimentaires, pour peu que le supplément aille effectivement dans la poche des producteurs, ce qui constitue précisément la spécificité de sa marque, née en 2016, et concernant aujourd’hui une vingtaine de produits.

"On ne veut pas être complice, nous consommateurs avec notre argent, de la souffrance d'un producteur"

« Pour que ces produits existent dans les rayons au-delà des 5% actuels, il faut que les consommateurs soient représentés dans les réunions entre les distributeurs et les grandes marques, a-t-il poursuivi. Amenez-nous dans ces réunions, vous verrez que notre bon sens et notre bienveillance arbitreront différemment la protection des producteurs. On ne veut pas se rendre complice, nous consommateurs avec notre argent, de la souffrance d'un producteur ».

Nicolas Chabanne, créateur de la marque « C’est qui le patron » (Capture d’écran : France Inter)
Nicolas Chabanne, créateur de la marque « C’est qui le patron » (Capture d’écran : France Inter)

Revoir la loi LME

Présent dans le studio de France Inter, Serge Papin, ancien PDG de Système U, « une coopérative », a-t-il pris soin de préciser, est sur la même ligne. « Il faut absolument que l’on dissocie le prix de la matière première agricole, à partir d’indicateurs de coûts de production, a déclaré le médiateur auprès du ministre de l'Agriculture pour une mission relative à la répartition de la valeur dans les filières agroalimentaires. Dans le cadre des négociations, il faut que l’on puisse garantir, dans les contrats, que le prix proposé aux producteurs corresponde bien à un prix de revient, à une marge, pour qu’ils puissent vivre dignement ».

"Soit on continue à détruire l’appareil agricole, soit on change les règles"

Serge Papin plaide pour passer de négociations annuelles à une contractualisation pluriannuelle. Autre proposition : revoir la Loi de modernisation de l’économie (LME), instituée en 2007. « Cette loi a été faite pour faire baisser les prix, c’était son objectif, fait savoir Serge Papin. C’est la loi du plus fort, c’est un peu la loi du renard dans le poulailler et c’est l’agriculteur, le maillon faible, qui supporte tout ça. On est rendu au bout de ça : soit on continue à détruire l’appareil agricole, soit on change les règles. Il y a des secteurs où le marché va bien, où les prix à la consommation sont convenables, où les transformateurs et distributeurs gagnent bien leur vie. Et on dit aux agriculteurs : vous allez être payés encore moins cher. Qu’est-ce qu’on cherche alors qu’on demande à ces mêmes agriculteurs de respecter le bien-être animal et c’est très bien, de décarboner, d’utiliser moins d’intrant, d’être plus respectueux de la santé, de l’environnement, d’être plus durable, donc il faut bien aussi que l’on soit capable de dire : tout ça a un coût pour l’agriculteur. Vouloir le prix à tout prix, on risque d’en payer le prix et beaucoup plus cher ».

Des produits frais plutôt que transformés

Pour Serge Papin comme pour Nicolas Chabanne, payer les producteurs au juste prix ne serait pas automatiquement synonyme d’une hausse du coût de l’alimentation. « Le premier prix est nécessaire et, surtout dans ces périodes de crise, il faut des prix attractifs, explique explique Nicolas Chabanne. Mais depuis des années, on nous explique que rajouter quelques centimes est impossible car c’est le credo de l’ensemble des consommateurs d’acheter moins cher. On a prouvé que ce n’était pas le cas pour tout le monde ».

Serge Papin évoque de son côté les modèles de consommation. « Si vous achetez les produits agricoles bruts, ou de première transformation, je dis cela avec beaucoup de précaution, on ne peut pas dire que ça coute cher. Un kilo de légumes de saison, c’est dans les 2 euros le kilo, si vous prenez du porc de qualité, on est à 6 ou 7 euros le kilo. On peut donc avoir une portion de protéines animales de qualité et de légumes qui soient aux alentours de 2 euros ou 2,5 euros, mais il faut bien sûr prendre le temps à la cuisine. Mais plus vous achetez des produits transformés, des céréales de grande marque, de la pâte à tartiner de grande marque, de la biscuiterie, etc., ça coûte cher, c’est sûr, donc il y a aussi ce discernement à avoir. Il y a de vrais enjeux de santé publique, avec des problèmes de diabète, d’obésité ».