Pas de bien-être animal sans bien-être de l’éleveur

[Edito] La question du bien-être animal, qui était au cœur du salon de l’élevage à Rennes cette semaine, est indissociable de celle des conditions de travail et de vie des éleveurs. Le ministre de l’Agriculture a beau affirmer que la facture sera à payer par la société, celle-ci reste pétrie d’injonctions contradictoires.

« Une porcherie de treize étages ou une exploitation de vaches laitières de plus de 10 000 vaches, ce genre d’élevage ne se trouve en aucun cas en France, mais en Chine ou aux Etats-Unis. Il faut être à l’offensive pour montrer que nos élevages sont des élevages de proximité, de territoire, de qualité », a clamé le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie au Space, le salon de l’élevage à Rennes, dont le thème cette année était le bien-être animal, un sujet régulièrement abordé depuis plus de 20 ans.

Les élevages français sont en effet loin d’être comparables à des « fermes-usines ». A titre d’exemple, même si la taille des élevages a augmenté au cours des dernières années, plus de la moitié des exploitations laitières françaises sont constituées de troupeaux de moins de 70 vaches. Les troupeaux de plus de 100 vaches laitières représentent 15% des exploitations.

L'art de la communication

Etre à l’offensive pour communiquer, donc, mais comment ? « En matière de communication, on manque à la fois de temps et d’argent, contrairement à nos détracteurs, déplore Thomas Guegan, éleveur de porcs dans le Morbihan. Mais chaque éleveur fait ce qu’il peut avec ce qu’il a pour communiquer ». Ouvrir sa ferme, communiquer avec son voisinage… ces actions de proximité sont efficaces et de nombreux agriculteurs et agricultrices s’y emploient déjà. Le challenge est en revanche plus ardu pour toucher un public lointain et urbain.

« Dans les médias nationaux, on a l’impression que les progrès réalisés depuis 20 ans ne sont pas relayés, que l’agriculture n’évolue pas », constate Dominique Gautier, éleveuse de porcs dans les Côtes-d’Armor. L’an dernier, elle a accueilli sur sa ferme une équipe de France Télévision venue faire un reportage sur l’histoire de l’agriculture bretonne. « Sur quatre jours de tournage, ils n’ont gardé que quelques minutes sur lesquelles ils ne parlent que de pollution et de départ de nos animaux vers les abattoirs », témoigne-t-elle. Publiée sur les réseaux sociaux, une vidéo dans laquelle elle raconte cette terrible déconvenue a connu un immense succès et engendré de nombreux messages de soutien. « Lorsque l’émotion transparait, ça fonctionne », affirme l’éleveuse. Encore faut-il maîtriser les codes des réseaux sociaux, des lieux qui peuvent vite virer au lynchage médiatique.

Le coût du bien-être

Utilisées par les détracteurs de l’élevage, les images choc de maltraitance animale occultent bien souvent une réalité beaucoup moins visible : la détresse et le mal-être des éleveurs. Ainsi, avant de s’atteler au bien-être animal, « il faut d’abord commencer à travailler sur soi », témoigne Samuel Dugas, éleveur de vaches laitières en Ille-et-Vilaine. Avoir un système solide, qui permette des investissements et supporte une baisse de production. Réussir à se libérer du temps libre, des congés. Avoir un débouché rémunérateur. « Et faire partie d’un groupe, cela a été déterminant pour moi », précise Samuel Dugas. Avec l’accompagnement de l’association Adage 35, il a ainsi pu mettre en place des mesures qui, comme la monotraite, influent autant sur le bien-être animal que sur celui de l’éleveur. Mais tout a un coût : chez Samuel, la perte de production avoisine les 25%.

 « C’est à la société de payer la facture de ce qu’elle demande aux agriculteurs en termes de bien-être animal », a déclaré le ministre lors de sa venue au Space. Une position visant à rassurer les éleveurs, mais qui reste pour le moment un vœu pieu. D’autant que la société arbore des injonctions contradictoires : le consommateur recherche de la viande de qualité mais achète le premier prix, vante le bio mais s’oppose à la construction d’un poulailler à proximité de chez lui.