Pour en finir avec le coup de mou du blé dur

La filière lance une étude stratégique en vue d’améliorer la compétitivité de l’espèce et de relancer la production et la transformation. Le blé dur post-Covid peut jouer sur la fibre locale et les labels et lorgner sur l’Italie, qui impose l’étiquetage de l’origine des blés.

« Les surfaces et la production de blé dur ont été divisées par deux en dix ans seulement et cette baisse affecte les quatre bassins de production. Les producteurs sont dans une situation économique difficile. Les activités de collecte, de transformation et d’exportation risquent également d’être déstabilisées. Le blé dur est dans une filière proactive mais qui doit s’adapter ». C’est par ces mots qu’Eric Thirouin, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB), a conclu la 23ème journée filière blé dur, annonçant par la même occasion le lancement d’une étude stratégique visant à améliorer la compétitivité de l’espèce, à l’initiative d’Intercéréales, de l’AGPB, du Comité français de la semoule industrielle (CFSI), du Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires de France (SIFPAF) et de FranceAgriMer. Ses conclusions sont attendues pour le mois de novembre prochain.

Les maux de l’espèce sont connus : des prix qui rivalisent difficilement avec ceux des autres céréales, une forte variabilité des rendements et de la qualité en lien avec les phénomènes climatiques toujours plus paroxystiques, l’absence d’incitation significative au niveau des politiques agricoles et ici où là des facteurs aggravants tels que la pression foncière ou le mitage.

Ce que veulent les Français

Quand on a dit cela, on a du mal à entrevoir un retournement de tendance mais la filière pourrait tirer quelques enseignements de la crise sanitaire. « La crise de la Covid a engendré des changements très forts en matière notamment d’attentes écologiques, avec une accélération de la demande en bio et un renforcement du local, témoigne Pascale Hebel, directrice du pôle consommation et entreprises au Credoc. Les consommateurs veulent des produits français et qui assurent une juste rémunération des producteurs. Les Français se soucient également de leur santé, ce qui passe par le rejet des intrants relevant de la chimie de synthèse et une attention particulière sur la qualité des nutriments. La filière blé dur doit donc s’orienter sur des produits de luxe que sont les produits bio, ou agroécologiques pour servir plus de monde et miser sur la génétique pour améliorer les blés durs en nutriments et en vitamines ».

La remorque risque d’être chargée pour la génétique, sollicitée par ailleurs pour répondre à des exigences qualitatives que sont la réduction de la moucheture et du mitadinage (aux côtés des techniques culturales), sans compter l’adaptation au changement climatique, le tout avec des moyens financiers contingentés par le caractère autogame de l’espèce et sa sole toute relative. Entre 2013 et 2020, la production de semences a perdu 46% de ses surfaces pour s’établir à 6 300 ha.

Ce que peut la filière

Pour autant, la filière n’est pas indifférente aux attentes des consommateurs, comme en témoigne le semoulier-pastier Alpina Savoie. « Notre gamme origine France remonte à 1997 en conventionnel et à 2011 en bio, déclare Antoine Chiron, responsable filière. Depuis deux ans, on travaille avec un fournisseur localisé en Camargue et capable de nous fournir des blés durs bio, pas même traités avec des produits homologués en bio. Nous sommes par ailleurs engagés dans un programme d’impact comparé d’itinéraires conventionnels et bio non traité sur la biodiversité, qui devrait à terme nous aider à accompagner les producteurs dans l’évolution de leurs pratiques. Les pesticides, c’est un vrai sujet et tous les chemins sont bons pour trouver des alternatives »

"La contractualisation nous permet de sortir de l’influence des cours mondiaux et offre à l’agriculteur une sécurité du prix "

L’entreprise propose aux producteurs des contrats triennaux, transparents sur les règles de calcul des prix, assortis d’une grille de rémunération indexée sur des objectifs qualitatifs. « La contractualisation nous permet de sortir de l’influence des cours mondiaux et offre à l’agriculteur une sécurité du prix sur une partie de la production ainsi contractualisée ».

Alpina Savoie est par ailleurs membre du Collectif Nouveaux Champs et dispose d’une gamme de produits labellisés Zéro résidu de pesticides (ZRP), la seule à ce jour dans le domaine des céréales. Elle a aussi initié une démarche HVE sur des gammes de pâtes destinées à la restauration commerciale. « N’ayant pas les moyens de faire de la publicité à la télé, l’emballage et l’étiquetage restent notre premier vecteur de communication », déclare Antoine Chiron.

Regard sur l’Italie et le Maghreb

L’étiquetage, c’est un levier que l’Italie a activé, en obligeant les fabricants à indiquer l’origine du blé dur sur les paquets. « Au départ, l’obligation portait sur un taux minimum de 51% de blés italiens pour pouvoir prétendre à la mention, déclare Nicolas Prevost, responsable collecte et commercialisation chez Arterris (Aude). Aujourd’hui, la majeure partie des industriels tire vers le 100%. La mesure a eu un effet positif sur la rémunération des agriculteurs italiens. Auparavant, l’Italie cultivait le paradoxe d’être le premier importateur mondial de blé dur, notamment en provenance du Canada, tout en ayant les prix les plus bas sur son marché intérieur ».

"Les pâtes sont concurrencées par les légumes, les légumineuses et d’autres céréales telles que le quinoa"

Une initiative qui pourrait donner des idées à notre filière. Toutefois, celle-ci ne s’affranchira pas de ses responsabilités à l’export, et notamment au Maghreb, autre gros importateur et gros consommateur de blé dur. « Le blé dur français est bien connu, il est jaune, il a de bonnes qualités techniques et un bon rendement semoule, déclare Yann Lebeau, responsable du Bureau France Export Céréales Maghreb-Afrique. Mais on a un rapport qualité prix un peu déconnecté de celui du Canada, qui dispose par ailleurs d’un volant de 5 millions de tonnes exportables immédiatement quand la production française stagne à 1,5 million de tonnes avec des exportations en baisse en direction des pays tiers. Mais je pense que la filière française a la capacité de proposer une offre structurée et répondant aux attentes du Maghreb ».

Du grain à moudre pour l’étude stratégique, qui devra aussi prendre en compte la tendance baissière de la consommation de pâtes en France. « Après avoir progressé de 30% entre 2003 et 2016,  elles s’est repliée de 3% au cours des trois dernières années, souligne Pascale Hebel. Les pâtes sont concurrencées par les légumes, les légumineuses et d’autres céréales telles que le quinoa. ».