Soja sans complexe (3/4) : 100% soja, 100% alimentaire, 100% exporté, une « soy touch » à la sauce toulousaine

Alors que la France désespère l’autonomie protéique de son élevage, les Silos du Touch ont fait du soja leur spécialité... à ceci près que tout part en « soy food » et majoritairement en Asie. Une recette plébiscitée par une communauté grandissante d’agriculteurs du Sud-Ouest.

Pour satisfaire les besoins en protéines de ses ruminants et monograstriques, la France importe bon an mal an 3,5 millions de tonnes de tourteaux et de graines de soja, aux deux tiers en provenance du Brésil selon les Douanes. Donc 100% OGM, soit dit en passant. Et selon la plateforme Duralim, qui compte dans ses rangs les importateurs et les fabricants français d’aliment, l’incertitude pesant sur le caractère déforestant de ce soja concerne 60% des importations, un taux que les acteurs escomptent réduire à néant à l’horizon 2025. Selon l’association Solagro, qui a publié récemment une étude sur l’empreinte alimentaire des Français, l’Hexagone importe l’équivalent de 10 millions d’hectares de terres agricoles (soit 34% de sa SAU), dont 1,35 million d’hectares de soja. C’est grosso modo 8 fois la surface de soja cultivée en France (prévision de 180 000 ha en 2022).

100% soy food ou presque

Et pendant ce temps-là, les Silos du Touch prospèrent sur du soja cultivé dans le Sud-Ouest et destiné à des consommateurs à l’autre bout de la planète, notamment au Japon. Oui mais. « Le problème, c’est que l’on a du mal à valoriser localement notre soja en alimentation animale », explique Paul Bousin, directeur des Silos du Touch, basés à Pouy-de-Touges (Haute-Garonne). L’homme n’est pas seulement négociant. Avec son frère Jean, il est aussi agriculteur et donc producteur de soja. C’est leur père Michel qui est l’origine du négoce, fondé en 2004.

"Le soja destiné à l’alimentation humaine, c’est 35 000 tonnes en Europe. Le marché japonais, c’est 1,2 million"

Dans la décennie qui a précédé sa création, une association d’une petite dizaine d’agriculteurs, dont Michel Bousin, s’était constituée pour commencer à alimenter la filière naissante du « soy food », le soja destiné à l’alimentation humaine. A l’époque, la culture est marginale au plan national mais cette petite communauté d’agriculteurs flaire un bon filon, qui ne s’épuisera pas, si l’on songe à la végétalisation / culpabilisation de notre alimentation. Fausse piste. « Le soja destiné à l’alimentation humaine représente entre 30 000 t et 35 000 t à l’échelle européenne, déclare Paul Bousin. Le marché japonais, c’est 1,2 million. En Asie, la consommation de produits à base de soja est un fait culturel. Le tofu, c’est leur fromage, le lait de soja, c’est leur lait de vache ». Tout part ainsi en soy food, à l’exception des graines non conformes qui sont valorisées en alimentation animale.

Le négoce propose à chacun d’eux des contrats à prix ferme, avec une plus-value qui oscille entre 30 €/t et 70 €/t par rapport à la concurrence positionnée sur l’alimentation animale, assortie de primes de qualité et de stockage le cas échéant
Le négoce propose à chacun d’eux des contrats à prix ferme, avec une plus-value qui oscille entre 30 €/t et 70 €/t par rapport à la concurrence positionnée sur l’alimentation animale, assortie de primes de qualité et de stockage le cas échéant

Une dynamique non OGM et non bio

En 2022, l’Asie représente 50% des débouchés des Silos du Touch, une part qui a significativement progressé ces dernières années, l’Europe (45%) et la France (5%) constituant le solde. Il faut dire que le négoce s’est taillé une solide réputation, par sa capacité à fournir des graines à la pureté et à la qualité garanties. Le savoir-faire du négoce (30 salariés aujourd’hui) et la performance de l’outil industriel, sis à quelques encablures du Touch, affluent de la Garonne, à l’origine de la marque Soytouch (prononcer avec l’accent anglais et toulousain) assurent la notoriété internationale du négoce. L’entreprise investit aussi beaucoup dans l’accompagnement technique des agriculteurs, sans rien leur vendre d’autre qu’un peu de semence, même si c’est « compliqué » en soja. Avec les biostimulants, la semence reste néanmoins un sujet d’étude du négoce, qui explore deux axes de travail que sont le rendement et la qualité technologique.

"Le bio, c’est très européen. En Asie, le bio n’existe pas"

Marché du food oblige, on imagine le bio prendre l’ascendant. Erreur. « En Asie, le bio n’existe pas, indique Michel Bousin. En Europe, le marché du soja bio est à la fois mâture et très circonscrit en tonnage. Le tofu bio, c’est 100 tonnes en Europe. Quant au lait de soja bio, il est concurrencé par les laits végétaux d’avoine ou de riz ». Les Silos du Touch observent néanmoins l’évolution de la demande en soja non OGM (avec les États-Unis comme principal concurrent), la montée continue des prix pouvant amener les consommateurs finaux à reconsidérer leurs exigences. A contrario, le marché chinois, inaccessible aujourd’hui pour cause de quotas, constitue un potentiel relais de croissance.

Le savoir-faire du négoce et la performance de l’outil industriel assurent la notoriété internationale du négoce, qui écoule 50% de sa production en Asie sous la marque Soytouch
Le savoir-faire du négoce et la performance de l’outil industriel assurent la notoriété internationale du négoce, qui écoule 50% de sa production en Asie sous la marque Soytouch

En recherche de producteurs

En 2022, les Silos du Touch devraient collecter l’équivalent de 15 000 hectares de soja disséminés sur 8 départements du Sud-Ouest, en progression de 50% par rapport à 2021. La flambée du prix de l’engrais est un allié du soja, qui gagne du terrain sur le maïs, notamment du côté des Pyrénées-Atlantiques et des Landes. La petite communauté de départ flirte aujourd’hui avec les 700 producteurs, reliés par un groupe WhatsApp. Le négoce propose à chacun d’eux des contrats à prix ferme, avec une plus-value qui oscille entre 30 €/t et 70 €/t par rapport à la concurrence positionnée sur l’alimentation animale, assortie de primes de qualité et de stockage le cas échéant. Peinant à satisfaire la demande, le négoce est en quête d’hectares. « On pourrait nous reprocher de faire monter les prix. Mais c’est bien pour les agriculteurs, non ? ».

 

Tous les articles de la série :

Soja sans complexe (1/4) : l’Europe potentiellement autonome, selon l’Inrae

Soja sans complexe (2/4) : la ruée vers le Nord

Soja sans complexe (3/4) : 100% soja, 100 % alimentaire, 100% exporté, une « soy touch » à la sauce toulousaine

Soja sans complexe (4/4) : 26 q/ha en sec, en bio et sans binage dans la Meuse