Face à la décapitalisation bovine, la région Normandie prend les vaches par les cornes.

Pendant que la filière de l’élevage rumine et attend les mesures du gouvernement, la région Normandie agit et lance son plan de reconquête.

Le compte à rebours a commencé : la France se prépare à accueillir les Jeux Olympiques, et le pays se mobilise pour assurer le ravitaillement titanesque des athlètes. Pas moins de 13 millions de repas, avec 80 % de produits d'origine française, seront préparés et servis sur une période de 15 jours. Une belle promesse est également faite en ce qui concerne la viande, qui sera exclusivement française et durable. Si la France met en avant sa production bovine pour les JO, elle ne doit pas pour autant ignorer les défis et les souffrances que rencontre l’élevage. Il y a quelques jours, la Fédération nationale bovine a fait part de ses revendications en vue des prochaines élections européennes. Elle s'oppose par exemple à l'importation et à l'ouverture de nouveaux quotas d'importation de viandes bovines et demande des prix rémunérateurs pour les producteurs. La Région Normandie n’a pas attendu les décisions de l’Etat pour agir : avec Interbev, elle veut transformer ses éleveurs en athlètes : les nouveaux champions de l’élevage. 

L’élevage bovin en voie de disparition 

L’écart entre l’intention de garantir 100% de viande française et la réalité, s’annonce  difficile. Une anticipation nationale de notre cheptel et des mesures seraient bienvenues pour renforcer la filière. Le premier constat, qui témoigne de son déclin, est la diminution, sans surprise, de la consommation de viande, chutant de 3,7% en 2023. Un appétit moindre, aux répercussions significatives sur l’ensemble du secteur. Mais cette baisse de la demande n’est pas la seule cause du déclin des cheptels laitiers et allaitants français.
Entre les départs en retraite non renouvelés, les charges, le manque de rentabilité et depuis peu la MHE et les aléas climatiques… L’élevage va de mal en pis. Conséquence : la décapitalisation se généralise. Les chiffres des effectifs sont plus qu’alarmants ! En 7 ans, les cheptels, laitiers et allaitants, ont perdu respectivement 409.000 et 564.000 têtes, soit 1 million au total. L’Idele se veut toutefois rassurante et souligne un ralentissement de la décapitalisation en 2023, qui peut être expliqué - en partie - par la baisse des abattages de vaches destinées à la viande : -7,1% en 2023. Mais s’agit-il d’une pause, voire d’un renversement de tendance ? Certainement pas ! La baisse du cheptel est une catastrophe pour les abattoirs : “depuis le début de l’année 2024, ce sont deux abattoirs qui ferment par mois”, alerte Yves Fantou, président de Culture Viande, le syndicat français de l'abattage-découpe. Les taux de marge ont reculé tandis que les charges ont triplé… C’est le serpent qui se mord la queue. Le constat reste inlassablement le même : l’élevage ne se porte pas mieux, au contraire, il court à sa perte. 

La vache, ADN de la Normandie

Au coeur d’une des grandes régions d’élevage, Clotilde Eudier, 3e vice-présidente de la Région Normandie en charge de l’agriculture, de la pêche et de la forêt, tire elle aussi la sonnette d’alarme : “Que serait la Normandie sans nos vaches et nos prairies ?”. Avec près de 250.000 vaches allaitantes, la région représente le deuxième secteur de l’économie agricole normande et le deuxième bassin laitier du pays avec 16% du troupeau laitier français. La vache normande est également une icône… qui attire les consommateurs ! Que serait le camembert sans ses vaches figurant sur les étiquettes des célèbres boîtes en bois ? Ce fromage, l’un des plus populaires au monde, contribue à la renommée de la France et à notre économie (ce qui est de bon augure pendant ces JO). La messe est dite : la vache ne peut pas disparaître de ses prairies. Malheureusement, la région n’est pas non plus épargnée par la décapitalisation de son cheptel : elle a subi une perte massive de 5000 vaches allaitantes entre 2021 et 2022. 

Aux ar-meuh citoyens !

Face à la décapitalisation, pas de capitulation ! La Région Normandie prend les devants et lance le premier plan de reconquête de l’élevage bovin en France avec un accent particulier sur les bovins allaitants. Ce plan repose sur deux piliers majeurs : la recapitalisation des cheptels allaitants et la relocalisation de l’engraissement pour les troupeaux laitiers, en particulier sur les veaux croisés ou normands. 

Interbev vient aussi à la rescousse et propose d’organiser la contractualisation à prix minimum garantis et de financer les suivis techniques des éleveurs. La région Normandie accompagnera les éleveurs en accordant une aide forfaitaire de 200 € par an et par vache ou génisse amouillante, sous condition d’une augmentation minimum de 20 animaux du troupeau. Cette aide régionale pourrait permettre de fournir 5000 vaches supplémentaires par an, freinant ainsi la décapitalisation. L'investissement régional s’élèvera à 1 million d’euros.
Pour ce qui est de la “relocalisation de l’engraissement en Normandie”, Interbev propose également des prix minimum garantis et prend en charge les suivis techniques. L’interprofession s’engage également à financer 50 € par veau sevré âgé de moins de 2 mois pesant au minimum 50 kilos. L’objectif est d’aider 10.000 veaux issus de croisements en troupeaux laitiers sur une période de 3 ans. Au total, deux millions d’euros seront consacrés à cette politique. 

La Normandie marche dans les pas du gouvernement : souveraineté et valorisation du made in France. 

C’est un bel exemple d’anticipation des éleveurs normands, qui s’engagent résolument dans une agriculture tournée vers l’avenir. Si la région, épaulée par Interbev, parvient à inverser l’érosion de la décapitalisation, elle pourra ainsi préserver son cheptel et perpétuer les races de vaches. Elle pourra également maintenir ses prairies et donc garantir des réserves de carbone, tout en valorisant le savoir-faire boucher et la qualité de nos produits nationaux. 

Paradoxalement, la France ne produit pas suffisamment de viande par rapport à sa consommation. Les importations de viande bovine, bien qu’en diminution (- 6,3% soit 27.300 tonnes équivalent-carcasse), restent soutenues. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec les exportations, elles aussi en baisse de 11,3% (23.500 tec) de viande bovine 23/22 selon le document “Conjoncture sur les filières ruminants lait & viande de FranceAgriMer du 12 mars 2024”. 

Le plan de reconquête par la région Normandie co-construit avec Interbev mérite une attention particulière. Il met en avant l’élevage non intensif et apporte un soutien aux éleveurs dans un contexte de crise. Le premier bénéficiaire de ce dispositif est Romain Madeleine, éleveur installé au Molay-Littry (Calvados). Il faudra quelques années avant que la Région Normandie ne soit jugée et éventuellement récompensée pour cet engagement. En attendant, elle se place en tête du peloton des initiatives. Les JO se jouent avant tout dans nos champs !