10 millions d’euros en "Bons diagnostic carbone"

Le ministère de l’Agriculture lance un dispositif destiné à réaliser des diagnostics d’exploitation. Le plan cible les agriculteurs installés depuis moins de cinq ans et vise 5.000 diagnostics sur 2021 et 2022. Un projet qui coïncide avec l’arrivée du Label bas carbone en grandes cultures. L’UE prépare de son côté son propre label.

Réaliser un bilan carbone de l’exploitation, identifier des leviers d’actions pour réduire les émissions et accroître la séquestration dans les sols et enfin accompagner les agriculteurs dans la mise en œuvre des actions : tel est l’objet des "Bons diagnostic carbone", dont le ministère de l’Agriculture a fait l’annonce à l’occasion d’un webinaire organisé par l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (Apad) le 11 décembre.

Le ministère de l’Agriculture mobilise 10 millions d’euros sur le Plan de relance et se fixe l’objectif de réaliser 5.000 diagnostics en 2021 et 2022 chez des agriculteurs installés depuis moins de 5 ans. « C’est une initiative très intéressante, commente Claudine Foucherot, directrice du programme agri-forêt au sein d’I4CE, un institut impliqué dans la mise au point de méthodes de certification bas carbone. « Le diagnostic carbone est un préalable pour se lancer dans un projet de certification et escompter ensuite une rémunération des crédits carbone générés. Mais son coût peut rebuter les agriculteurs. Le Bon diagnostic carbone constitue une bonne amorce ».

Un appel à projet sera lancé le 15 décembre par l’Agence de l’environnement (Ademe) et destiné à sélectionner les organismes aptes à assurer les diagnostics. Le programme devrait être opérationnel à compter du mois de mars 2021 et le guichet sera ouvert jusqu’à la fin 2022, à concurrence de l’enveloppe allouée.

Le label bas carbone en grandes cultures

La mise en place des Bons diagnostic carbone va coïncider avec l’officialisation prochaine, par le ministère de la Transition écologique, du Label bas carbone (LBC) appliqué aux grandes cultures, à l’initiative des filières (Arvalis, ITB et Terre Inovia), avec l’appui technique d’Agrosolutions (groupe InVivo). Il viendra compéter les trois autres labels LBC d’ores-et-déjà accordés en 2019 à l’élevage bovin (Carbon Agri) et très récemment aux haies et aux nouveaux vergers. Le Label bas carbone appliqué à l’agriculture permet de certifier la démarche de décarbonation des exploitations agricoles.

Les crédits carbone générés sont valorisés entre 30 et 50 € la tonne, auprès d’entreprises ou de collectivités qui, non contraintes par la réglementation, souhaitent malgré tout soutenir financièrement des projets de décarbonation et s’inscrire dans une démarche de neutralité carbone, que leur périmètre d’activité ne leur permet pas nécessairement d’atteindre.

L’Apad en première ligne

En grandes cultures, les leviers d’amélioration du bilan carbone résident notamment dans la maîtrise de la fertilisation et dans la maximisation du carbone dans le sol (matière organique, racines) et dans les couverts végétaux. Sans en avoir le monopole, l’Agriculture de conservation des sols (ACS) est une pratique des plus vertueuses à cet égard.

Il y a un an, l’Apad a créé son propre label Au cœur des sols (ACS) pour authentifier ses pratiques et tenter de les convertir en valeur ajoutée. Environ 200 agriculteurs ont décroché le label, représentant une surface de 30.000 ha. « Mais du label ACS au Label officiel bas carbone, j’ai peur que ce soit une usine à gaz pour nous pauvres petits agriculteurs et que la valeur ajoutée soit en bonne partie captée par les intermédiaires, s’inquiète Laurent Monnet, polyculteur-éleveur dans les Deux-Sèvres et membre de l’Apad. Je regrette aussi qu’une méthode comme Carbon Agri en élevage ne valorise pas les pratiques vertueuses effectives à l’entrée dans le processus de certification ».

« Il ne faudrait pas non plus que le label bas carbone nous impose de retourner nos sols pour attester ensuite d’une démarche de progrès », surenchérit Diane Masure, agricultrice en ACS dans l’Aube. « Cette problématique a été prise en compte dans le futur LBC bas carbone, a tenté de les rassurer Claudine Foucherot. Par contre, certains leviers de décarbonation s’avèrent coûteux, en tout cas plus coûteux que les crédits carbone qu’ils sont susceptibles de générer ».

La Pac concernée ?

Sujet qui reste encore largement à défricher, les crédits carbone soulèvent des interrogations légitimes de la part des producteurs. « Les agriculteurs doivent être très scrupuleux sur leurs pratiques mais aussi sur les sollicitations dont ils peuvent faire l’objet, déclare Pascal Boivin, professeur en science du sol à l’école HESS-Hepia (Suisse), intervenant au webinaire de l’Apad. C’est un sujet à regarder de près et le rôle régulateur et certificateur de l’Etat est très important pour ne pas risquer un coup de pied de l’âne dans 10 ou 15 ans, quand le changement climatique sera beaucoup plus dramatique qu’aujourd’hui. Il ne faudrait pas alors que l’on accuse les agriculteurs d’avoir berné la société ».

"Le label bas carbone français est le plus avancé en la matière à l’échelon européen."

Le Label bas carbone, attribué par le ministère de la Transition écologique, constitue à cet égard la plus sérieuse des cautions et tous les porteurs de projet de décarbonation, actuels et futurs, devraient s’en revendiquer. « Le LBC français est le plus avancé en la matière à l’échelon européen, souligne Claudine Foucherot. La Commission européenne vient de lancer son propre projet de certification, dans le cadre du Green  Deal et de la stratégie Farm to fork. Pour rémunérer les pratiques vertueuses et certifiées des agriculteurs, sont évoquées comme sources de financement le marché de compensation volontaire mais aussi des aides de la Pac, ainsi que la contribution de grosses installations polluantes qui sont dans le marché européen d’échanges de quotas carbone. En matière de label bas carbone, la France inspire l’UE. Il restera à créer les passerelles entre les dispositifs français et européen ».

Le ministre, un fan de l’ACS

Voilà en tout cas un sujet où la France fait figure de poisson pilote. Julien Denormandie est un fervent défenseur de l’Agriculture de conservation des sols. A l’ouverture du webinaire, François Mandin, agriculteur en Vendée et président de l’Apad, a partagé un message du ministre de l’Agriculture. « J’apporte mon soutien total à l’ACS. Je crois profondément à l’ACS. Elle a un rôle essentiel pour capter le carbone dans les sols et ainsi agir contre le réchauffement climatique. Il faut le dire et le répéter inlassablement ».

Un encouragement de première pour l’Apad qui ne ménage pas ses efforts de recherche avec le projet Dycasol (mesure des taux de matière organique) et de promotion via un livre blanc, une web-série (SAV du carbone) ou encore le webinaire de ce jour.