Bio : « Pour déjouer la crise, toujours plus de transformation et de vente directe »

[Tech & Bio 2023] A Portes-lès-Valence (Drôme), Aurélie Roux et Manuel Faure élaborent différentes farines et huiles, ainsi que des pâtes depuis peu pour capter de la valeur et développer la vente directe, initiée avec la production d’œufs. Pour le Moulin d’Aubin, la crise attendra. Talent Tech & Bio 2023.

« Une partie de nos œufs bio est produite en intégration et vendue en circuit long. Leur prix, qui n’a pas bougé depuis des années, est deux fois moindre que celui de nos œufs vendus en direct, dont on parvient à faire passer des hausses de temps en temps, en le justifiant auprès de nos clients, à qui on explique ce qu’est la bio, qui le comprennent et qui l’acceptent ». En une phrase, Aurélie Roux dit beaucoup de l’antidote que le Moulin d’Aubin semble avoir trouvé à la crise qui secoue l’agriculture biologique depuis deux ans maintenant : vendre au juste prix des produits bio (et leurs bénéfices environnementaux) auprès d’une clientèle éprise de produits locaux, ces derniers constituant pour beaucoup de consommateurs un critère d’achat plus prégnant que le logo AB, comme l’indique une étude récente de FranceAgriMer.

Les silos en bois, qui préviennent les phénomènes de condensation, ont été autoconstruits
Les silos en bois, qui préviennent les phénomènes de condensation, ont été autoconstruits

Tout a commencé en 2007 quand Aurélie rejoint la ferme familiale, qui produit déjà des céréales et oléagineux sur 40 ha (surface inchangée) et du poulet de chair industriel.

"On ne mangeait pas les poulets que l’on produisait"

Premier virage à 180 degrés : l’exploitation est convertie en bio, le poulet de chair est abandonné au profit des œufs, la vente directe entre en jeu. « On ne mangeait pas les poulets que l’on produisait, explique l’éleveuse. Le passage en bio répondait à la volonté première de protéger la santé de mon père et la mienne, puisque nous sommes les premiers exposés aux pesticides ». Les trois bâtiments sont reconvertis en poules pondeuses, dont deux en intégration, le troisième étant dédié à la vente directe. Et ça marche.

Farines, semoule et huiles : le Moulin d’Aubin transforme tout au long de l’année, avec une pointe en hiver pour éviter les mites et charançons
Farines, semoule et huiles : le Moulin d’Aubin transforme tout au long de l’année, avec une pointe en hiver pour éviter les mites et charançons

En 2018, Aurélie est rejointe par Manuel Faure, son compagnon, tandis qu’un salarié vient remplacer son père Denis, néo-retraité. Pour assumer une UTH supplémentaire, mais aussi pour que Manuel apporte sa propre pierre (à meuler), la Ferme Roux aborde la transformation : blé tendre, blé dur et maïs passeront dans le moulin (fabriqué localement), colza et tournesol dans la presse à huile. Et ça marche.

Même le moulin est fabriqué localement, par les Moulins de Biocourt
Même le moulin est fabriqué localement, par les Moulins de Biocourt

Les produits sont vendus à la ferme, sur des marchés, dans des épiceries et boulangeries à 10 km à la ronde (local toujours !) ainsi que dans les cantines scolaires, via les plateformes publique Agrilocal et associative Agri Court.

"Contrairement aux huiles du commerce, nos huiles ne sont pas désodorisées, ça peut surprendre"

En 2021, Manuel pousse un peu plus loin la transformation en se lançant dans la production de pâtes. « Ce n’est pas très original car on n’est pas moins de cinq exploitations alentours », admet le néo-pastier. Pour se démarquer, Manuel Faure mise sur plusieurs choix techniques, qu’il dévoile à mots couverts, concurrence oblige. « Les fientes des poules sont pour beaucoup dans le taux de protéines. Les spécificités des machines sont très importantes. Je sèche à basse température ».

La presse, l’huile de tournesol et le tourteau
La presse, l’huile de tournesol et le tourteau

On n’en saura pas plus, sauf que les pâtes sont caractérisées par une excellente tenue à la cuisson, une propriété très appréciée en restauration collective notamment. Les huiles du Moulin d’Aubin ont moins de succès dans ce circuit. « Contrairement aux huiles du commerce, nos huiles ne sont pas désodorisées, ça peut surprendre certains palais ». D’autres apprécient.

"5 ou 6 épiceries bio ont disparu au cours des deux années passées "

L’exploitation a investi 100.000 euros dans ses outils de transformation. Elle a fait des grosses économies en auto-construisant ses dix silos en bois, d’une capacité cumulée de 80 tonnes, qui préviennent les phénomènes de condensation. Au besoin, chaque silo peut être raccordé à un système de ventilation.

En 2023, la Ferme Roux a trouvé son équilibre, avec une répartition de son chiffre d’affaires sur trois ateliers (intégration, œufs en direct, farines, huiles et pâtes) et deux circuits, courts et longs. Si le couple estime avoir encore des marges pour développer la vente directe, avouant des lacunes en commercial et marketing, il ne jette pas la pierre aux filières longues : l’intégrateur (œufs) et la coop (grains) font office de variables d’ajustement. « 5 ou 6 épiceries bio ont disparu au cours des deux années passées », déclare Aurélie Roux. Si le Moulin d’Aubin ne connaît pas la crise, la crise est là.