Comment les constructeurs tentent de contenir la hausse des prix

Face à la frénésie qui gagne la planète de l’agroéquipement, les constructeurs tentent de juguler l’inflation en jouant de leur stratégie industrielle et de leur force de négociation. Et s’estiment davantage victimes que bénéficiaires de la situation, un tant soit peu spéculative, mais pas de leur fait.

Les constructeurs tirent-ils profit de la hausse du prix des matières premières et des composants, et au final du prix des agroéquipements ? Dans l’esprit de certains agriculteurs, l’idée que l’inflation dissimulerait aussi un relèvement des marges chez les constructeurs est patente. « Il y a peut-être ici ou là un côté spéculatif, mais chez certains fournisseurs en amont et en aucun cas chez les constructeurs », assure Jérôme Mestrude, chef de produits grandes cultures chez France Pulvé, la nouvelle structure fédérant les marques du groupe Exel Industries. « Les marges des constructeurs comme celles des concessionnaires suivent des tendances baissières depuis des années, plaide de son côté Christian Fischer, directeur commercial du groupe Kuhn. Non seulement nous ne prenons pas plus de marges mais en prime, on ne répercute pas l’intégralité de la hausse des coûts que nous subissons par égard envers nos clients agriculteurs. Nous essayons d’améliorer encore notre productivité ».

Jérôme Mestrude, chef de produits grandes cultures chez France Pulvé : « il ne faut pas vendre plus que les prévisions »
Jérôme Mestrude, chef de produits grandes cultures chez France Pulvé : « il ne faut pas vendre plus que les prévisions »

Quand les constructeurs tamponnent les hausses

France Pulvé abonde dans le même sens. « Si l’on avait répercuté les hausses subies auprès de nos fournisseurs, qui oscillent entre +5% et +40%, on aurait dû appliquer une hausse de tarif de 10 à 12% mais on a décidé de la limiter à 4,5% », souligne Jérôme Mestrude. « Chez Claas, la hausse annuelle de tarif, qui intervient à l’automne, sera comprise entre 5% et 6%, déclare Laurent Méron, directeur marketing de Claas France. Sans exclure un réajustement ultérieur, si la situation l’exige », précise-t-il.

"Quand un fabricant d’essieux vous impose une hausse de 20%, c’est à prendre ou à laisser"

5 à 6% : c’est la hausse moyenne qui sera appliquée chez la plupart des constructeurs, en tout cas chez les majors qui, par leur organisation industrielle, logistique et leur force de négociation, ont une certaine capacité à peser sur les fournisseurs. Ce n’est pas le lot de tous les constructeurs. « Quand un fabricant d’essieux vous impose une hausse de 20%, c’est à prendre ou à laisser, déclare un fabricant spécialisé, sous couvert d’anonymat. A la pénurie de composants s’ajoute la pénurie de main d’œuvre. Il nous manque entre six et huit salariés sur un effectif de cinquante personnes ».

Julien Saint-Laurent, directeur du marketing : « l’avion a supplanté le bateau pour acheminer les pièces et composants, ce qui se ressent évidemment sur les coûts »
Julien Saint-Laurent, directeur du marketing : « l’avion a supplanté le bateau pour acheminer les pièces et composants, ce qui se ressent évidemment sur les coûts »
"Un tracteur sur mesure fabriqué à Mannheim en Allemagne, c’était trois mois de délai. Aujourd’hui, c’est six mois mais ça sera peut-être beaucoup moins dans six mois"

Jouant de leur poids et de leur envergure, les full-liner sont un peu mieux armés. « Chez John Deere, au niveau de chaque usine, nous avons mis en place des cellules spéciales dédiées à l’approvisionnement, déclare Julien Saint-Laurent, directeur du marketing de la filiale française. Dans un certain nombre de cas, l’avion a supplanté le bateau pour acheminer les pièces et composants, ce qui se ressent évidemment sur les coûts. La tâche est complexe car la demande est particulièrement soutenue, notamment en Europe de l’Est. Un tracteur sur mesure fabriqué à Mannheim en Allemagne, c’était trois mois de délai. Aujourd’hui, c’est six mois mais ça sera peut-être beaucoup moins dans six mois ».

Christian Fischer, directeur commercial du groupe Kuhn : « en trente ans de carrière, je n’ai jamais vu cela »
Christian Fischer, directeur commercial du groupe Kuhn : « en trente ans de carrière, je n’ai jamais vu cela »

La pénurie alimente la pénurie... et la bulle

La flambée du prix des matières premières et des composants est un phénomène mondial qui touche l’ensemble des secteurs industriels. Et le poids de l’agriculture, face à l’automobile par exemple, est très relatif. « En trente ans de carrière, je n’ai jamais vu cela », témoigne Christian Fischer. « Demandez un devis sur la construction d’un hangar, avec ou sans panneaux photovoltaïques : le prix change toutes les semaines, déplore Julien Saint-Laurent. Même si ce n’est pas agréable, cela donne de la crédibilité à nos arguments ».

Pour tamponner la hausse, les constructeurs affirment rogner sur leurs marges. « On essaie de réaliser des gains de productivité et de réintégrer un certain nombre de productions pour limiter les hausses de tarifs », déclare Christian Fischer. Mais l’autonomie est évidemment illusoire.

"Face aux délais à rallonge, les concessionnaires anticipent les commandes pour s’assurer de réaliser leur chiffre d’affaires en 2022"

Entre agriculteurs et constructeurs, il y a les concessionnaires qui, à leur corps défendant, alimentent la frénésie de commandes. « Face aux délais à rallonge, les concessionnaires anticipent les commandes pour s’assurer de réaliser leur chiffre d’affaires en 2022 », indique Stéphane Proust, responsable marketing chez Horsch France. Selon John Deere, aux États-Unis, les concessionnaires avaient commandé l’équivalent de 80% des capacités de production dans les deux mois suivant la sortie du tarif.

Les tensions sur les prix et les délais s’expliquent autant par la demande que par la limitation des capacités de production des industriels fournisseurs de composants. « Les fournisseurs n’ont pas forcément accru leurs capacités car ils savent pertinemment que la demande va finir par s’essouffler », déclare Jérôme Mestrude. « Les arbres ne montent pas au ciel », renchérit Christian Fischer. « A mon sens, on est en train de créer une bulle », dit Laurent Laurent Méron. La ligne de crête ne serait pas loin.

Laurent Méron, directeur marketing de Claas France : « on a limité la hausse des tarifs entre 5 et 6%, sans exclure un réajustement ultérieur »
Laurent Méron, directeur marketing de Claas France : « on a limité la hausse des tarifs entre 5 et 6%, sans exclure un réajustement ultérieur »

« On vend de la technologie comme jamais »

Du côté des agriculteurs, les hausses de tarifs font nécessairement réfléchir, de même que les délais de livraison. Mais les prévisions de marché restent orientées à la hausse, portées par une moisson globalement très honorable et des prix haussiers, pour peu que la qualité soit au rendez-vous. Le secteur de l’élevage est aussi à l’achat. La technologie constitue un puissant moteur d’achat. « On vend de la technologie comme jamais, déclare Julien Saint-Laurent. Et parallèlement, on voit de plus en plus de renouvellement de tracteur à puissance égale ». La techno plutôt que les chevaux : l’agroéquipement fait sa mue. « Mieux vaut conserver jusqu’au dernier moment l’appareil que l’on a prévu de renouveler », conseille Jérôme Mestrude.