De la stabulation au rayon, les contorsions du bien-être animal

La définition zootechnique du bien-être animal se heurte à la vision idéalisée de l’élevage par le grand public. Au-delà des initiatives en matière d’étiquetage sur le bien-être ou encore sur le mode d’élevage, c’est toute une pédagogie qu’il faut marteler, à laquelle les éleveurs sont invités à prendre part, aux côtés des autres maillons de la chaine alimentaire. C’est ce qu’il est ressorti de la dernière conférence de la Coopération agricole dédiée au bien-être animal.

« La réalité de l’élevage, ce n’est ni les vidéos dégueulasses de L214, ni les images de vaches normandes au milieu des pommiers fleuris telles que l’industrie agroalimentaire les véhicule ». A l’occasion la conférence organisée pour la 7ème année consécutive par la Coopération agricole sur le thème bien-être animal, Antoine Thibaut, éleveur laitier en Normandie et youtubeur patenté (Agriskippy la ferme les vaches) résumait en une phrase l’une des problématiques auxquelles sont confrontées les filières animales vis-à-vis du grand public.

Pour Luc Mounier, docteur vétérinaire, enseignant en bien-être animal à VetAgro Sup, Antoine Thibaut a raison sur toute la ligne. « Faire des vidéos sur youtube, ouvrir son exploitation au grand public, c’est le bon moyen de ramener nos concitoyens à la réalité, affirme-t-il. Je ne connais pas un consommateur qui soit ressorti d’un élevage en disant, c’est une horreur ». 

« Le référendum d’initiative partagée (RIP) est une bonne illustration de la méconnaissance des gens en matière d’élevage, abonde Bernard Vallat, inspecteur général de santé publique, président de la Fédération des entreprises françaises de charcuterie traiteur. Ne laissons pas les extrémistes remettre en cause le lien historique entre l’Homme et l’animal, au risque de paupériser nos filières et nos éleveurs sur la base de procès qui n’ont aucune justification scientifique ».

De l’acceptabilité des bâtiments...

Pour beaucoup de concitoyens, les bâtiments d’élevage symbolisent le mal absolu. « On a un gros déficit d’explication sur la question des bâtiments d’élevage, déclare Gérard Cladière, président du groupe viande de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), siégeant à Inaporc et Interbev. Il nous faut expliquer pourquoi il faut des bâtiments, ce que font les animaux à l’intérieur d’un bâtiment, pourquoi c’est bien aussi l’élevage en bâtiment. On est face à une demande sur le bien-être animal mais qui repose sur un monde idéalisé, avec des imageries quotidiennes déconnectées de la réalité de l’élevage. C’est par exemple Cédric Villani qui se ballade avec son marcassin. Nous distributeurs, on doit démontrer, en lien avec les industriels, les groupements de producteurs, les interprofessions, que l’on se préoccupe du bien-être animal, dans le contexte de l’élevage, c’est à dire avec des animaux qui ne sont pas des animaux de compagnie ».

« L’élevage de lapin est indissociable des cages, explique par exemple Antoine Thibaut. Si on interdit ce type d’élevage, on fera automatiquement le jeu des importations avec le risque que les lapins importés soient indirectement le produit de la déforestation ».

... à l’acceptabilité du prix

Dans le cas du lapin, c’est la cage ou rien. Pour d’autres productions, certains systèmes d’élevage sont incontestablement porteurs de progrès du point de vue du bien-être animal. Mais ils s’accompagnent immanquablement d’une augmentation du coût de production, dont la répercussion sur le prix de vente reste très hypothétique.

"Même sans plus-value sur le prix final, l’éleveur aura toujours intérêt à améliorer le bien-être de ses animaux car il en tirera des bénéfices du point de vue sanitaire ou alimentaire."

« Le meilleur exemple est donné par les éleveurs de porc en label rouge ou en plein air, poursuit Antoine Thibaut. Ils sont contraints de se positionner sur des marchés très spécifiques, sans garanties ni sur les volumes si sur la rentabilité, car le prix reste l’un des premiers critères d’achat ».

« Même sans plus-value sur le prix final, l’éleveur aura toujours intérêt à améliorer le bien-être de ses animaux car il en tirera des bénéfices du point de vue sanitaire ou alimentaire, souligne Luc Mounier. Mais dans le cas où le progrès passe par des investissements spécifiques en bâtiment, si le consommateur n’y concourt pas, on n’y arrivera pas ».

Pas sûr que le contexte économique facilite la transition au sein des ménages. « La donne économique reste l’élément clé quand on fait ses courses, confirme Gérard Cladière. Outre la demande de produits locaux, qui a très fortement émergé ces derniers mois, le facteur prix reste déterminant, d’autant plus que les consommateurs appréhendent une période économique difficile. Ils sont conscients que consommer mieux coûte plus cher, mais qu’ils doivent y renoncer, ce qui n’est pas sans générer des frustrations. Mais la volonté de manger mieux, d’avoir une consommation plus responsable, d’avoir des critères plus forts et plus visibles en matière de bien-être animal, reste bien ancrée. Nous allons poursuivre le travail déjà réalisé dans ce sens avec les interprofessions ».

Le bien-être à ses aises sur l’étiquette

Depuis quelque temps, le bien-être animal s’est invité sur les étiquettes de certaines volailles, à l’initiative des distributeurs et d’associations de protection animale, en collaboration avec plusieurs groupes coopératifs agricoles. L’Étiquette bien-être animal, qui repose sur un référentiel de 230 critères, couvre les différentes étapes de la vie de l’animal, depuis la naissance, jusqu’à l’abattage en passant par le transport. Il comprend cinq niveaux de A à E ainsi qu’un pictogramme indiquant le mode d’élevage associé (accès extérieur, parcours arboré, bâtiment amélioré...). Le porc pourrait suivre. Il s’agit là d’une initiative privée mais les pouvoirs publics n’y sont pas indifférents.

"Le Nutri-score fait la distinction entre les protéines végétales, jugées positives, et les protéines animales, jugées négatives, sans aucun fondement scientifique"

En début d’année, le ministère de l’Agriculture a annoncé sa volonté d’améliorer l’information des consommateurs sur les modes d’élevage. « D’ici à début 2021, nous devrions avoir le premier retour d’expérience s’agissant de l’étiquette bien-être animal, déclare Gérard Cladière. Il faut savoir que le Label rouge et l’Agriculture biologique sont deux signes de qualité perçus comme mieux-disants en matière de qualité mais aussi de bien-être animal, c’est un point important. S’agissant du mode d’élevage, je suis plus circonspect. Il faudra trouver la bonne façon de normer, sans risquer de stigmatiser les bâtiments par exemple ».

Une prudence que Bernard Vallat fait sienne : « Prenez le Nutri-score, qui renseigne de la qualité nutritionnelle des aliments transformés. Il est tout à fait honorable. A ceci près qu’il fait la distinction entre les protéines végétales, jugées positives, et les protéines animales, jugées négatives, sans aucun fondement scientifique ».