Décarbonation (4/4) : l’agroforesterie sort du bois

Couvrant 30% du territoire, la forêt française est un puits à carbone conséquent mais au potentiel additionnel limité. A la frontière entre forêt et agriculture, les haies et l’agroforesterie recèlent une réserve de séquestration, que la prochaine Pac pourrait soutenir à travers les éco-régimes.

En France, la filière forêt-bois permet de compenser 20% des émissions de CO2, sous l’effet du stockage sur pied, dans le sol ainsi que dans les produits manufacturés à base de bois, sans oublier le bois-énergie comme substitut aux énergies fossiles.

Problème : la surface occupée par la forêt est relativement stable et présente donc peu de réserves additionnelles. « Il existe trois pistes pour accroître le potentiel de stockage de la forêt, indique Tancrède Neveu, directeur délégué du Fonds de dotation Plantons pour l’avenir. Il s’agit des opérations de conversion de taillis en futaie, d’actions de reboisement de forêts dégradées par des tempêtes, des incendies ou des phénomènes de dépérissement ou encore des opérations de boisement, c’est à dire de plantation de forêt sur des terrains qui en étaient dépourvus. Mais dans ce derniers cas, gare aux risques de conflit d’usage, vis à vis de l’agriculture notamment, un secteur qui à l’inverse de la forêt, présente de nombreux leviers d’atténuation au changement climatique ».

Plantation de douglas (Crédit photo : France Douglas)
Plantation de douglas (Crédit photo : France Douglas)

L’agroforesterie ou l’arbre qui cache l’agriculture

A la frontière entre l’agriculture et la forêt se trouve justement l’agroforesterie, qui consiste à associer des arbres et des cultures au sein d’une même parcelle. Cultures intercalaires de céréales entre noyers, noisetiers ou peupliers, cultures maraîchères entre pêchers, chênes truffiers et lavandes, oliviers et vignes, prés-vergers, bois et truffières pâturés : telles sont quelques-unes des associations d’espèces et de cultures que recouvre l’agroforesterie.

La pratique, qui remonte à l’Antiquité, assure la récolte, au sein d’une même parcelle, de deux denrées alimentaires différentes, sinon la production combinée d’une denrée et de bois. Les animaux d’élevage ont également leur place dans les systèmes agroforestiers, en se nourrissant des fruits des chênes ou des feuilles de frênes. Tombée en désuétude dans la seconde moitié du XXème siècle, sous l’effet de l’intensification (remembrements, mécanisation), elle connaît depuis quelques années un retour en grâce, que la prochaine Pac pourrait soutenir, en lien avec la Stratégie Biodiversité édictée par la Commission européenne, et qui vise à visant à stopper son appauvrissement et à esquisser une reprise écologique à l’horizon 2030.

Écologie fonctionnelle

En grandes cultures, comme au sein des prairies et du vignoble, il a été démontré  que la présence d’arbres a des effets sur l’activité biologique du sol (matière organique, mycorhize), la maîtrise des parasites (auxiliaires), la ressource en eau (exploration racinaire, dépollution), l’environnement climatique (effet brise-vent et parasol), la biodiversité aérienne et souterraine, le stockage du carbone, la valorisation paysagère, sans oublier la production éventuelle de sous-produits (bois d’œuvre, bois énergie, fruits).

Cette écologie fonctionnelle doit cependant ménager la production de la culture principale, potentiellement impactée par la compétition pour la lumière, pour l’eau et pour les éléments nutritifs. Les bénéfices quantitatifs, agronomiques et environnementaux ne sont pas automatiques cependant. Les interactions entre espèces, entre la faune auxiliaire et les parasites, la densité d’arbres, leur pérennité et leur mode d’exploitation peuvent déjouer les objectifs et contrarier les impératifs économiques. L’agroforesterie version XXIème siècle a donc besoin de renforts scientifiques, doublés d’efforts de vulgarisation.

Système agroforestier en viticulture (Crédit photo : Domaine Emile Grelier)
Système agroforestier en viticulture (Crédit photo : Domaine Emile Grelier)

Plan d’action agroforesterie

Le ministère de l’Agriculture s’y emploie. En 2015, il lançait un plan d’action destiné à relancer la pratique, via des incitations financières et autres actions de soutien (recherche, promotion, signes de qualité...). Au plan juridique, il est question de sécuriser les relations entre propriétaires et fermiers en permettant aux fermiers plantant des arbres forestiers de les valoriser au moment de la cession du bail.

La première action consistait toutefois à établir un inventaire de la situation. En 2014, les surfaces concernées par des plantations intraparcellaires étaient estimées à environ 3.000 ha, la surface de haies à 810.000 ha et les alignements d'arbres à 150.000 ha. Les experts estiment à 5,9 millions d'ha (3,9 M ha en cultures et 2 M ha en prairie), les surfaces pouvant techniquement faire l’objet de plantations intraparcellaires. Dans l’état actuel des pratiques, le potentiel de plantation est estimé entre 1000 ha et 5000 ha par an.

"Introduire des essences adaptées au changement climatique"

L’agroforesterie pourrait aussi profiter, à la marge, du Plan de relance qui flèche 200 millions d’euros vers la forêt. Il faut dire que si la forêt concourt fortement à l’atténuation du changement climatique, elle pâtit du réchauffement. « La plantation permet d’introduire des essences adaptées au changement climatique, souligne Tancrède Neveu. Celui-ci se traduit par l’apparition de nouveaux bio-agresseurs et par un accroissement du risque incendie, susceptible de réduire à néant le puits de carbone. La plantation permet aussi de répondre aux besoins économiques de demain, par l’intermédiaire de variétés forestières améliorées qui disposent d’une base génétique plus large que celle des peuplements naturels, ce qui leur confère une adaptabilité plus importante et donne des peuplements plus résistants ».

Parcelle reboisée (Crédit photo : Plantons pour l'avenir)
Parcelle reboisée (Crédit photo : Plantons pour l'avenir)

Tous les articles de la série :

Décarbonation (1/4) : l’agriculture adopte un profil bas... carbone

Décarbonation (2/4) : les grandes cultures entre faim d’azote et soif de couverts

Décarbonation (3/4) : l’élevage bovin démet les gaz

Décarbonation (4/4) : l’agroforesterie sort du bois