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Décarbonation (1/4) : l’agriculture adopte un profil bas... carbone
L’agriculture dispose de nombreux leviers pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et pour maximiser le stockage de carbone dans les sols et en surface. Différentes certifications accompagnent la transition, en gratifiant les exploitations engagées de crédits carbone, avec des rapports coûts / bénéfices variables. La prochaine Pac pourrait intégrer des aides ciblées via les éco-régimes, un nouveau dispositif d’aides directes. Éclairage.
Qu’est-ce que la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) ?
Adoptée en 2015 puis révisée en 2019, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) formalise l’engagement de la France à lutter contre le changement climatique, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
La stratégie tient en quatre points : décarboner complètement l’énergie utilisée à l’horizon 2050 (à l’exception du transport aérien), réduire de 50% les consommations d’énergie dans tous les secteurs d’activité, réduire au maximum les émissions non énergétiques, issues très majoritairement du secteur agricole et des procédés industriels et enfin augmenter et sécuriser les puits de carbone, c’est-à-dire les écosystèmes naturels et les procédés et les matériaux capables de capter une quantité significative de CO2 (sols, forêts, biomatériaux, technologies de capture et stockage du carbone).
Quelle est la part de l’agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) ?
En France, l’agriculture est responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre que sont le protoxyde d’azote (N2O), le méthane (CH4) et le dioxyde de carbone (CO2). Le N2O, le CH4 et le CO2 représentent respectivement 51%, 41% et 8% des émissions du secteur agricole exprimées en équivalent CO2 (CO2e). Les poids élevés du N2O et du CH4 s'expliquent par leur pouvoir de réchauffement global, respectivement 298 fois et 25 fois plus élevé que celui du CO2.
D’où proviennent les émissions de N2O ?
Les principales sources de N2O sont les engrais azotés minéraux de synthèse, l'urée et les matières organiques non digérées contenues dans les déjections des animaux. La production de N2O est favorisée lorsque certaines parties sont aérobies et d’autres anaérobies, comme c’est le cas du fumier solide aéré.
D’où proviennent les émissions de CH4 ?
Elles résultent de la dégradation, par des microorganismes, des molécules organiques en conditions anaérobies, par fermentation. Les principales sources sont les ruminants, qui éructent le CH4 produit par fermentation entérique dans leur rumen et les déjections des animaux stockées en conditions anaérobies, comme c’est le cas du lisier.
En quoi consiste le stockage de carbone ?
Les molécules organiques produites par la photosynthèse, donc à partir de CO2 capté dans l’atmosphère, constituent un stock de carbone dans les biomasses aérienne (tiges et feuilles) et souterraine (racines). Après la mort du végétal, cette matière organique restant ou retournant au sol est décomposée sous l’action de microorganismes. Toutefois, cette décomposition étant lente et partielle, du carbone se trouve transitoirement stocké dans le sol, sous différentes formes (litières, humus, biomasse microbienne).
La biomasse végétale et le sol peuvent ainsi constituer des puits de carbone et contribuer à réduire la concentration en CO2 dans l’atmosphère. Les choix réalisés sur l’exploitation agricole (usage des sols, techniques culturales mises en œuvre) peuvent modifier les stocks de carbone sur l'exploitation soit dans le sens d’un stockage accru (puits de carbone), soit dans le sens d’une réduction du stock (source de CO2 pour l’atmosphère).
Comment l’agriculture peut-elle améliorer son bilan carbone ?
L’INRAE a identifié 10 leviers d’actions :
- diminuer le recours aux engrais minéraux de synthèse en ajustant mieux aux besoins de la culture, en valorisant mieux les fertilisants organiques, en améliorant l’efficacité de l’azote (retard du premier apport au printemps, ajout d'un inhibiteur de nitrification, enfouissement localisé de l'engrais).
- accroître la part de légumineuses à graines en grande culture et introduire et maintenir une plus forte proportion de légumineuses dans les prairies temporaires.
- abandonner le labour au profit du semis direct continu, du semis direct avec labour occasionnel 1 an sur 5, à du travail superficiel du sol en continu.
- étendre ou généraliser les cultures intermédiaires en grande culture, les cultures intercalaires en verger et vignoble (enherbement permanent ou temporaire du sol), les bandes enherbées en périphérie de parcelles.
- développer l'agroforesterie et les haies
- optimiser la gestion des prairies (allonger le le pâturage, accroître la durée de vie des prairies temporaires, réduire la fertilisation des prairies les plus intensives, intensifier modérément les prairies permanentes les plus extensives (landes...) en augmentant le chargement animal pour accroître la production végétale et donc le stockage de carbone.
- réduire la production de méthane des bovins en orientant le fonctionnement du rumen vers des voies métaboliques moins productrices de CH4, via des modifications de rations, l’intégration de lipides insaturés (sous forme de graines d'oléagineux) en substitution à des glucides, l’ajout d’additif (du nitrate) dans les rations pauvres en azote fermentescible à base d'ensilage de maïs.
- réduire la fraction d’apports protéiques non fixés par les vaches laitières et ajuster la ration des porcs à leur stade de développement.
- capter le CH4 produit par la fermentation des effluents d'élevage durant leur stockage (torchères, méthanisation).
- réduire la consommation d'énergies fossiles (gaz, fioul, gazole) dans les bâtiments, serres et véhicules.
Quel est le rapport coûts / bénéfices de la décarbonation ?
Selon l’INRAE, certains leviers génèrent des bénéfices nets tandis que d’autres se traduisent par des surcoûts, exprimés en euros par tonne de CO2e évité.
Parmi les actions engendrant un surcoût supérieur à 25 €/t de CO2e évité figurent les investissements sans retour financier direct (torchères), les achats d'intrants spécifiques (inhibiteur de nitrification, lipides insaturés, additifs), l’accroissement du temps de travail dédié (cultures intermédiaires, haies...) et/ou impliquant des pertes de production plus importantes.
Parmi les actions engendrant un surcoût inférieur à 25 €/t de CO2e évité figurent celles nécessitant des investissements spécifiques (méthanisation) ou modifiant un peu plus fortement le système de culture (réduction du labour, agroforesterie, développement des légumineuses à graine) pouvant occasionner des baisses modérées du niveau de production, partiellement compensées par des baisses de charges (carburants) ou la valorisation de produits complémentaires (électricité, bois).
Parmi les actions engendrant un bénéfice financier figurent celles relevant de la gestion de l'azote (fertilisation des cultures et des prairies, légumineuses, alimentation azotée des animaux). Elles précèdent celles relevant de la gestion des prairies et les économies d'énergie fossile.
En quoi consistent les crédits carbone rémunérant les pratiques vertueuses ?
Signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, le protocole de Kyoto a introduit un marché de la compensation carbone permettant à des États de compenser une partie de leurs émissions en surplus par des d’investissements dans des projets de réduction d’émissions GES.
Aux côtés de ce marché dit de conformité s’est instauré un marché de compensation volontaire permettant à des entreprises et à des collectivités de financer des projets de réduction ou de séquestration de GES dont elles ne sont pas directement responsables.
Dans le cas de figure le plus commun, l’acheteur de compensation s’adresse à un opérateur spécialisé auprès duquel il acquiert un nombre d’unités carbone correspondant au volume des émissions de gaz à effet de serre qu’il souhaite compenser. La somme versée à cette fin contribue, directement ou indirectement, au financement d’un projet spécifique de réduction des émissions ou de séquestration de carbone. Un crédit carbone correspond à 1 tonne équivalent de CO2 évitée par le projet.
Quelles sont les garanties associées aux crédits carbone ?
En 2019, le ministère de la Transition écologique a élaboré le Label bas carbone, destiné à certifier les projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de séquestration carbone et de les valoriser économiquement. Il garantit que les projets de réduction ou séquestration du carbone réalisés sur le territoire national contribuent correctement et de manière transparente à atteindre les objectifs grâce à des méthodes crédibles et vérifiées de comptabilisation des émissions des gaz à effet de serre (GES).
En agriculture, l’Institut de l’élevage est le premier opérateur à avoir décroché, en septembre 2019, le label pour sa méthodologie Carbon Agri, adaptée aux bovins lait et bovins viande, mettant en œuvre l’outil de diagnostic Cap’2er. En décembre 2019, son premier appel à projet a attiré 22 porteurs de projet représentant l’engagement, sur 5 ans, de 391 éleveurs. Sa labellisation bas carbone est imminente. L’Idele vient dans la foulée de lancer son deuxième appel à projet.
La Pac va-t-elle soutenir la décarbonation de l’agriculture ?
La prochaine réforme de la Pac instaure avec les éco-régimes un nouveau dispositif d’aides directes, se substituant au paiement vert, auxquels les États membres de l’UE devraient réserver 20% de leur allocation sur le 1er pilier.
Parmi les pratiques bénéfiques pour l’environnement et le climat qu’ils devraient promouvoir figurent la réduction des GES et la séquestration de carbone, sans se limiter aux coûts supportés ou à la perte de revenus résultant de l’adoption de ces pratiques. Les projets certifiés Label bas carbone pourraient constituer le passeport tout désigné pour pouvoir prétendre aux aides.
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