Décarbonation (3/4) : l’élevage bovin démet les gaz

Après cinq ans de recherche et développement, l’élevage bovin vient d’entrer dans sa phase active de décarbonation. Une première cohorte de 391 éleveurs s’est engagée dans un processus sous Label bas carbone (LBC), visant collectivement à économiser 70 000 tonnes de carbone, valorisées 30 € la tonne. Selon l’Institut de l’élevage, cheville ouvrière du programme, des gains nets compris entre 5 000 € et 20 000 € par exploitation peuvent être escomptés.

Deux programmes de recherche dédiés avec Life Beef carbon (viande) et Life Carbon Dairy (lait), des centaines chercheurs et techniciens mobilisés pendant plusieurs années, plus de 2000 exploitations associées à la mise au point d’une méthode de diagnostic de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de séquestration de carbone (CAP’2ER), la reconnaissance de cette dernière au titre du Label bas carbone (septembre 2019), la finalisation d’un premier appel à projet auquel ont répondu 391 éleveurs, l’engagement de plusieurs entreprises et collectivités à acheter à la filière des crédits carbone au titre de la compensation volontaire  et le lancement tout récent d’un autre appel à projet, visant à rallier 400 éleveurs supplémentaires à la décarbonation de leur exploitation : tel est le chemin parcouru par l’élevage bovin au cours des cinq ans passés sur la question, avec l’Institut de l’élevage comme cheville ouvrière.

"Des entreprises et collectivités sont disposées à acheter des crédits carbone aux éleveurs"

Une débauche d’énergie au profit d’une noble cause : réduire l’empreinte carbone de l’élevage bovin tout en gratifiant les éleveurs d’une prime pour les efforts et adaptations concédés. Comment est-possible ? « C’est possible parce qu’il existe, d’une part, une quarantaine de leviers pour améliorer le bilan carbone des élevages ruminants et parce que, d’autre part, des entreprises et collectivités sont disposées à acheter les crédits générés, dans le cadre de la compensation volontaire », répond Jean-Baptiste Dollé, chef du service environnement à l’Institut de l’élevage (Idele).

40 leviers d’action

En France, l’agriculture est responsable d’environ 19% des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’élevage est le plus émetteur, concentrant 48% des émissions du secteur, devant les cultures (41%) et les machines et chaudières (11%). Les émissions induites par les activités d’élevage sont le fait principalement du méthane entérique (50%) et des effluents (23%), devant les achats d’aliment, de fertilisants, d’énergie.

L’idele a identifié une quarantaine de leviers autorisant une réduction des émissions et/ou un accroissement de la séquestration, balayant la conduite du troupeau (âge au premier vêlage, longévité, génétique, logement des animaux, ventilation...), l’alimentation (autonomie, teneur en azote, ajout de lipides...), la gestion des déjections (durée de pâturage, fréquence des raclages, mode d’épandage, méthanisation...), la consommation d’engrais (pilotage de la fertilisation, légumineuses...) et d’énergie, la gestion des surfaces cultivées (cultures intermédiaires...) et des infrastructures agroécologiques (haies, agroforesterie).

Selon retours d’expérience de l’Idele, les exploitations bovines disposent d’un potentiel de réduction d’empreinte carbone de 14%, soit l’équivalent de 350 t à 400 t sur 5 ans.

Le principe de la compensation volontaire

Outre les bienfaits pour la planète, l’intérêt de la démarche réside dans le fait que l’amélioration du bilan carbone peut faire l’objet d’une rémunération, dans le cadre de la compensation volontaire. « Certaines entreprises et collectivités se fixent pour objectif d’atteindre la neutralité carbone, explique Jean-Baptiste Dollé. Elles commencent par réduire leurs propres émissions jusqu’à atteindre un volume incompressible dans leur périmètre d’activité. Elles ont alors la possibilité de s’adresser à d’autres acteurs capables d’émettre des crédits carbone. C’est dans ce cadre que les éleveurs peuvent valoriser leurs efforts ».

Pour authentifier la démarche et les crédits, l’Idele à obtenu du ministère de la Transition écologique la certification Label bas carbone (LBC) pour sa méthode Carbon Agri, qui repose notamment sur l’outil de diagnostic CAP’2ER. Lorsqu’un éleveur s’engage dans la démarche, un diagnostic est réalisé au démarrage et en sortie de programme, soit cinq ans plus tard, afin de jauger l’amélioration du bilan émissions / séquestration.

Paiement en 2 temps sur 5 ans

Dans le secteur de l’élevage bovin, l’association France Carbon Agri, qui fédère l’Institut de l’élevage, le Cniel, Interbev, coopératives, négoces, organisations de producteurs, etc., assure l’interface entre les porteurs de projets et les candidats à l’achat de crédits carbone. Elle procède par appel à projet, à raison de deux par an, en visant à chaque fois le ralliement de quelques centaines d’éleveurs sous l’égide d’un porteur de projet qui peut être une Chambre d’agriculture, une coopérative, un organisme de conseil, une association de producteurs.

Lancé en début d’année 2020, le premier appel à projet a attiré 391 éleveurs. « Les diagnostics initiaux sont en cours de réalisation, indique Jean-Baptiste Dollé. 20% des 70 000 tonnes de carbone escomptées ont d’ores et déjà été commercialisées auprès de différents acheteurs tels que la Caisse des dépôts et consignations, les tanneries Haas, Kering, GSF, au prix de 30 €/t versés à l’éleveur. Selon les spécificités des exploitations, le gain net peut varier entre 5.000 € et 20.000 € sur une période de 5 ans ».

"Dégager des crédits carbone n’est pas une sinécure"

Un premier acompte est versé entre la 2ème et la 3ème année et le solde à l’issue de diagnostic final, sur la base des performances enregistrées. Qu’est-ce qui garantit que le prix et les acheteurs seront au rendez-vous dans les années à venir ? « Je connais peu d’entreprises qui ne soient pas mobilisées sur la question de la neutralité carbone, répond Jean-Baptiste Dollé. La demande devrait par conséquent rester durablement soutenue. Quant à l’offre, je ne pense pas qu’elle devienne subitement pléthorique car dégager des crédits carbone n’est pas une sinécure. C’est pour cette raison que le prix de 30 €/t est de notre point de vue un prix plancher. Les crédits carbone générés par l’agriculture ont du reste d’autre vertus que la seule décarbonation. Ils participent au maintien d’une activité économique sur le territoire national à laquelle les acheteurs sont sensibles. Ils sont aussi nantis de co-bénéfices environnementaux relatifs à la qualité de l’eau de l’air et à la préservation de la biodiversité ».

Tous les articles de la série :

Décarbonation (1/4) : l’agriculture adopte un profil bas... carbone

Décarbonation (2/4) : les grandes cultures entre faim d’azote et soif de couverts

Décarbonation (3/4) : l’élevage bovin démet les gaz

Décarbonation (4/4) : l’agroforesterie sort du bois